Entre les deux, les gouvernement gère le problème avec plus ou moins d'humanité, ce qui, d'ailleurs est loin d'être une question accessoire, en utilisant des références édulcorées à l'une ou l'autre de ces mythologies.
Il va sans dire que ces mythologies n'ont qu'un rapport très lointain avec la réalité. Les immigrés réels et la plupart de leurs descendants n'ont qu'un intérêt très limité pour les illusions messianiques de l'intelligentsia et, comme le faisait remarquer Christopher Lasch au sujet de la classe ouvrière, ceux d'entre eux qui n'ont pas intégré la classe moyenne sont plutôt conservateur socialement et considèrent avec méfiance l'individualisme bourgeois-bohème dont ils sentent qu'il est antinomique de la véritable solidarité.
Quant à la logique des quotas, comme pour les femmes, elle ne sert qu'à fabriquer des "arabes de service" et à favoriser la carrière de ceux que leur formation et leurs aptitudes promettaient déjà à la réussite.
Le mythe de la submersion agité par les Frontistes, Identitaires et autres riposteurs laïques, elle, relève du fantasme. Des populations ont bien été submergées par des vagues d'immigrants dans le passé, assimilées, réduites à quelques enclaves isolées, voire même, comme les Tasmaniens, exterminées, mais c'était parce que les immigrants disposaient d'un avantage militaire et économique écrasant. Les colons européens ont noyé les amérindiens et les aborigènes australiens mais ne sont resté qu'aux marges de l'Afrique et de la Nouvelle Guinée et n'ont eu aucun impact démographique sur l'Inde.
La population européenne s'est fixée avec l'arrivée de l'agriculture. Nous descendons des chasseurs du paléolithique (à l'ouest et au nord) et d'agriculteurs anatoliens. Les mouvement de population subséquents se sont tous fondus dans la masse des populations installées. On ne constate de "remplacement de population" que sur les marches arctiques ou sibériennes, où l'expansion russe n'a eu à déloger que quelques peuplades éparses.
Les changements culturels, qui ont été nombreux dans l'histoire de l'Europe, n'ont été que cela : des changements culturels, généralement associés à des changements politiques et militaires. Quand un peuple tombe sous la domination d'un autre, quand une classe dirigeante est remplacée par une autre, d'origine étrangère, il est fréquent que la langue et la culture des envahisseurs remplace progressivement celle des autochtones. C'est pour cela que les Anatoliens parlent turc et non grec ou louvite et que les hongrois parlent une langue finno-ougrienne et non une langue slave comme leurs ancêtres.
Ce remplacement culturel n'est d'ailleurs pas automatique. Les français parlent une langue romane, pas la langue germanique de l'élite mérovingienne et carolingienne, pas plus que les anglais ne parlent la variété de français en vogue à la cour de Guillaume le Conquérant.
Ce qui est certain, en revanche, c'est des immigrants sans statut ni pouvoir militaire n'ont jamais pu imposer leur culture à une population un tant soit peu nombreuse. Ils peuvent, éventuellement, se maintenir s'ils sont concentrées géographiquement et repliés sur eux-même. Les Amish ont gardé leur langue germanique alors que les autres immigrants allemands se fondaient dans les masses yankees et les paysans albanais installés en Grèce par ce qui restait de l’Empire Byzantin ont conservé leur langue jusqu’à aujourd’hui grâce à l’isolement de leurs villages, mais ni les un ni les autres n’ont imposé leur culture à leurs voisins.
En fait, dans les sociétés modernes, marquées par de réelles possibilités d’ascension sociale, les immigrants et leurs descendants tendent à s’assimiler relativement rapidement car la réussite sociale individuelle est conditionnée par l’intégration dans la société dominante et l’adaptation à ses valeurs. Pour devenir quelqu’un en France, vous devez parler Français et vous adapter aux valeurs de la République.
Cela correspond, peu ou prou, à la conception communautarienne, telle qu’exposée par Amitai Etzioni. Les immigrants, y compris de deuxième ou de troisième génération, doivent pouvoir cultiver leur culture, leur langue et leur religion propre dans un cadre privé, mais en tant que citoyens ils doivent être loyaux envers la République et adhérer à ses valeurs, même si, toujours en tant que citoyens, ils ont le droit d’agir pour influer sur sa politique. Contrairement aux minorités autochtones, leur culture n’a pas vocation à se maintenir ni leurs communautés vocation à se perpétuer autrement que comme un vague groupe de solidarité, à l’image des hiberno-américains.
Naturellement, l’adoption de telle ou telle religion ne fait partie dans aucun pays développé des conditions nécessaires à une intégration réussie. Nous avons, en tant que civilisation, décidé que la citoyenneté et la religion étaient deux choses distinctes. On peut être un bon français, danois ou espagnol sans appartenir à la religion dominante. C’est le consensus séculier ou laïque qui s’est imposé, sous diverses formes, dans tous les pays occidentaux et ceux qui fustigent la "France des Mosquées" sans fustiger la "France des Église" se mettent clairement en dehors de ce consensus et ne peuvent se réclamer de la laïcité.
Ce qui est incompatible avec les valeurs d’une république et doit être combattu c’est l’extrémisme religieux, mais sur ce point les bloqueurs de centres IVG et les intégristes manifestant devant Golgotha Pic-Nic valent bien les salafistes et doivent être condamnés avec la même rigueur.
Là où les choses se compliquent, cependant, c’est que le mode d’intégration utilisée par nos sociétés modernes est basé sur une promesse d’ascension sociale, sinon pour les primo-arrivants, du moins pour leurs descendants. Cela donne aux immigrants des perspectives sans commune mesure avec celles que leur offrirait la solidarité communautaire.
Cela a parfaitement fonctionné tant qu’une croissance forte et continue de l’économie créait toujours plus d’emplois qualifiés et bien payés auxquels les fils et filles d’immigrants pouvaient facilement accéder. Il n’aura échappér à personne que ce n’est plus exactement le cas.
Nos sociétés requierent pour fonctionner convenablement un approvisionnement constant en ressources rares et en énergie bon marché. Or, ces ressources et cette énergie ne sont pas renouvelables et nous arrivons au point, prévu par le Rapport Meadows il y a quarante ans, où leur disponibilité va se réduire tendanciellement. Ce que cela signifie c’est que nous devrons assumer le coût de nos infrastructures avec toujours moins de ressources. On peut y arriver, en les concentrant sur les fonctions essentielles, ou plutôt sur ce que les groupes dirigeants (pluriel) considèrent comme les fonctions essentielles – et vous pouvez être sûr que leur propre prospérité figurera assez haut sur la liste.
C’est d’ailleurs en gros ce que nous vivons aujourd’hui avec une croissance durablement atone – et probablement négative en terme de création de richesses réelles – et des états qui, ne pouvant se financer par la dette ou l’inflation deviennent de plus en plus impuissants.
Tôt ou tard nous atteindrons un points de rupture, ou plutôt, pour reprendre l’analyse de Greer, plusieurs points de rupture successifs formant un déclin en escalier entrecoupé de périodes de relative stabilité.
Il est notoirement difficile de prédire l’avenir, mais cela risque d’avoir au moins deux types de conséquences.
D’abord la compétition pour un gâteau qui ne cessera de se réduire va s’intensifier et mener à la montée de mouvements extrémistes. Si nous enfermons les immigrants et leurs descendants dans leur altérité, et l’extrême-gauche a autant de chances d’arriver à ce résultat que l’extrême-droite, la religion et une sorte de pseudo-ethnicité reconstruite risquent de devenir une ligne de fracture de plus dans une société qui en aura déjà accumulé un embarrassant surplus.
Ensuite les états ne peuvent que s’affaiblir au fur et à mesure que leurs ressources diminueront et ils seront de moins en moins capable de contrôler des flux migratoires qui ne peuvent que s’intensifier dans un monde que le changement climatique rendra de plus en plus instable. Là encore, les chances qu’une vague migratoire sans organisation politique arrive à imposer sa culture ou sa religion sur un vaste territoire sont très faibles. Ce qui peut se produire, en revanche, c’est une intensification des conflits avec les divers courants nationaux-populistes, les riposteurs laïques et leurs épigones dans le rôle du boute-feu.
La tentation du bouc-émissaire sera alors très forte, et même si le scénario de l’analyste américain Ralph Peters, selon lequel "les musulmans auront de la chance s’ils ne sont qu’expulsés" ne reste qu’un scénario, on ne peut totalement l’exclure quand on lit les discours haineux de certains.
C’est d’autant plus absurde que des discours du même genre ont, semble-t-il joué un rôle dans le seul exemple réussi de "colonisation culturelle" réussie menée par des immigrants – et non des envahisseurs – sur un territoire relativement vaste. Cet exemple n’est pas mis en avant par l’extrême-droite car les envahisseurs étaient de grands blonds aux yeux bleus - dans ce monde-là, on les préfère plutôt basanés. Il n’en est pas moins intéressant.
Au début du cinquième siècle, les romains ont abandonné ou ont été expulsés de Grande Bretagne dans des circonstances qui ne sont pas très claires. Les cités britto-romaines, issues des anciennes tribus celtes, ont retrouvé leur indépendance et ont semble-t-il commencé à se battre entre elles. Pour ce faire, elles ont, selon la tradition romaine, embauché des mercenaires saxons, de religion païenne, qu’ils installèrent sur leurs frontières.
On ne sait pas très bien ce qui s’est passé ensuite mais deux siècles plus tard l’Angleterre était divisé en royaumes de langue anglo-saxonne, de religion païenne... dont les frontières correspondaient peu ou prou à celles des anciennes cités britto-romaines et dont et dont les dynasties régnantes étaient partiellement d’origine celtes.
Le seul récit contemporain, le De Excidio et Conquestu Britanniae de Saint-Gildas donne la version suivante des événements :
Alors les conseillers, ainsi que le fier tyran Gurthrigern, roi de Bretagne, étaient tellement aveuglés, que, comme pour protéger le pays, ils scellèrent son destin en invitant parmi eux comme des loups dans la bergerie, les Saxons féroces et impies, une race haie à la fois de Dieu et des hommes, pour repousser les invasions des peuples du nord. Rien n'a jamais été aussi néfaste pour notre pays, rien n'a jamais été aussi malchanceux. […]
Ils ont d'abord débarqué sur la côte orientale de l'île, à l'invitation du roi malchanceux, et ils y plantèrent leurs serres acérées, apparemment pour combattre en faveur de notre île, mais hélas! En réalité contre elle.
Pourtant, ils se plaignent que leurs salaires ne sont pas payés, et ils aggravent volontairement chaque querelle, en menaçant de rompre le traité et de piller l'île tout entière s’ils ne reçoivent pas toujours plus. Bientôt, ils passent des menaces aux actes.
C’est beau comme du Christine Tassin et probablement aussi réaliste et productif.
Quand on sait que la dynastie qui unifiera l’Angleterre, celle des Cerdingas, a été fondée par un aristocrate celte – Cerdic de Wessex – on devine que les choses ont été un peu plus compliqués.
Il semble qu’alors que partout ailleurs dans l’ancien Empire Romain les germains ont fusionné avec les populations locales, perdant leur langue et leur culture, en Angleterre, deux sociétés se sont opposé sans se mélanger, et qu’une partie significative de la population autochtone a choisi de s’assimiler à la culture des immigrants, peut-être parce qu’elle leur offrait de plus grande perspectives de promotion sociale.
Les hurlements haineux de Gildas et de ses épigones ont sans doute joué un rôle dans cette fracture, et dans la victoire ultime du paganisme et de la culture anglo-saxonne.
Évidemment, rien ne dit que la France connaîtra jamais une situation comparable, même après que l’épuisement de nos ressources nous aient conduits à l’effondrement prévu par le Club de Rome il y a quarante ans. L’exemple britannique nous montre bien, cependant que les discours de haine de l’extrême-droite, comme les illusions communautaristes de l’extrême-gauche ne mènent qu’à un élargissement de fractures que nous avons tout intérêt à réduire tandis que notre civilisation touche aux limites de son mode de développement et entame ce qui sera probablement un long déclin.
Après tout, il est tout à fait possible que nos descendants aussi trouvent le commerce d’étrangers barbus plus agréable que celui de leur propre classe dirigeante enfermée dans ses privilèges, et qu’ils fassent les mêmes choix culturels que les britto-romains du Kent ou du Wessex. Il n’est d’ailleurs même pas dit que, dans le contexte de l’époque, ce soit une mauvaise idée.
Tout cela est très intéressant. N'oublions quand même pas que notre temps est le seul moment ou les femmes font moins de 2,1 enfants par femmes. Le remplacement d'une ethnie par une autre qui en ferait plus de 2,1 par femme serait-elle possible? Le jour où les autochtones ne seront que de vieux croulant, je ne suis pas vraiement sûr que cela ne se produise pas.
RépondreSupprimerLa natalité semble avoir été assez basse à la fin de l'Empire Romain, et la population a diminué de moitié au cours du bas-empire. La Chine a connu des creux démographiques similaires à certaines périodes.
SupprimerPourtant les germains se sont fondus dans la masse des autochtones, même dans les quelques zones où leur culture s'est imposée, il en a été de même pour les mongols, les turcs et les mandchous en Chine.
Dés l'instant où les immigrants se mélangent avec les autochtones, le résultat ne peut être qu'une population homogène, plus ou moins influencée culturellement par les anciens immigrants (généralement moins), mais impossible à distinguer, physiquement, des autochtones, si tant est que ce terme ait un sens après un siècle de mélange.
Amusant de lire une analyse qui se veut d'anticipation mais qui a en fait 30 (40 ?) ans de retard sur le réel.
Supprimerla ligne de fracture (éthnique et sociétale) à laquelle vous faites allusion est déjà une réalité et depuis une bonne quinzaine d'années.
Il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi pour comparer le choc culturel entre romains et saxons
d'une part et immigrants sub-sahariens et français d'autre part...