L'écrivain
britannique Arthur C. Clarke a écrit autrefois qu'une technologie
suffisamment avancée serait impossible à distinguer de la magie.
Pour la plus grande part de notre population, ce point est largement
dépassé. La recherche scientifique est devenue la réponse unique
et quasi incantatoire à toutes les contraintes que nous impose
l'univers, et le scientifique, affublé de sa blouse blanche et de sa
cornue, a pris la place du magicien des mauvais romans de fantasy
dans notre imaginaire collectif.
Bien
sûr, il n'est pas toujours bienveillant et si cette position est
encore minoritaire, il ne manque pas, sur les franges du monde vert
de luddistes radicaux qui, inversant l'opinion commune, font de la
science et de la technique la source de tous nos maux avant de nous
enjoindre à mener une vie chasse et de cueillette qui, pour la
plupart d'entre nous, signifierait une vie relativement courte de
gibier.
Lord
Voldemort au lieu d'Albus Dumbledore, mais avec toujours la même omnipotence.
La
réalité est, bien entendu, différente et ceux qui espère que la
recherche scientifique et le progrès technique vont nous résoudre
les problèmes qui assaillent notre civilisation risquent d'être
déçus.
La
science est avant tout une méthode de recherche destinée à obtenir
des informations sur le monde qui nous entoure, ces informations
pouvant être ensuite utilisée pour le manipuler. Elle a été
développée pour la première fois par le philosophe arabe Abū
'Alī al-Ḥasan ibn al-Ḥasan ibn al-Haytham au Xème
siècle dans sa Critique
de Ptolémée.
(oui, je sais, ce n'est pas gentil pour Riposte Laïque, mais si
Christine Tassin avait de la culture, nous l'aurions tous remarqué)
Nous
recherchons la vérité pour elle-même. Et ceux qui recherchent une
chose pour elle-même ne se laissent pas distraire par d'autre.
Al-Haytham : père de la science |
La
méthodologie de al-Haytham fut ensuite reprise par divers
intellectuels occidentaux, d'abord Roger Bacon, puis René Descartes
qui lui donna sa première définition formelle. A la base il s'agit
de se confronter à la réalité du monde pour formuler une hypothèse
que l'on testera, via une expérience, pour vérifier sa validité.
Cette expérience n'a d'ailleurs pas pour but de vérifier que
l'hypothèse en question vraie, seulement qu'elle n'est pas fausse,
et peut donc être utilisée comme un modèle approximatif de notre
réalité.
Associée
à l'exploitation des premières ressources fossiles au début du
XVIIIème
siècle, cette méthode nous a permis d'étendre considérablement le
champs de nos connaissance et de développer une technologie
extraordinairement complexe et puissante. De là est venue l'idée
selon laquelle la science, et le génie humain dont elle procédait,
pourrait vaincre toutes les difficulté. On retrouve ce thème dans
la philosophie un peu naïve d'un Auguste Comte, mais aussi dans les
romans Jules Vernes. On en trouve l'illustration dans sa seule œuvre
apocalyptique : L'Eternel Adam
Oui,
en vérité, la comparaison entre ce qu’était l’homme,
arrivant
nu et désarmé sur la terre, et ce qu’il était
aujourd’hui,
incitait à l’admiration. Pendant des siècles,
malgré ses
discordes et ses haines fratricides, pas un instant il
n’avait
interrompu la lutte contre la nature, augmentant sans
cesse
l’ampleur de sa victoire. Lente tout d’abord, sa marche
triomphale s’était étonnamment accélérée depuis deux cents
ans, la stabilité des institutions politiques et la paix
universelle, qui en était résulté, ayant provoqué un
merveilleux
essor de la science. L’humanité avait vécu par le
cerveau, et
non plus seulement par les membres; elle avait
réfléchi, au lieu
de s’épuiser en guerres insensées – et c’est
pourquoi, au
cours des deux derniers siècles, elle avait
avancé d’un pas
toujours plus rapide vers la connaissance et
vers la domestication
de la matière...
[…] Oui, l’homme était grand, plus grand
que
l’univers immense, auquel il commanderait en maître, un
jour
prochain...
Cette
vision n'a, évidemment, qu'un rapport lointain avec la réalité. En
plus d'être une méthode, la recherche scientifique est également
une forme d'investissement : on dépense des ressources –
humaines, énergétiques, matérielles – pour fabriquer du capital,
en l’occurrence toute une série de connaissances et de techniques.
Le
problèmes des investissements, c'est que contrairement à la magie,
ils sont soumis à la loi des rendements décroissants. Comme on
s'attaque en premier aux problèmes les plus faciles, plus le temps
avance, plus il faut investir pour obtenir des résultats, jusqu'au
moment ou le coût des investissements dépassent le gain qu'on peut
logiquement en attendre.
A
ce moment-là il est temps de passer à autre chose.
Il
était encore possible au XIXème
siècle de faire des découvertes majeures dans son garage. Pierre et
Marie Curie ont découvert le polonium et le radium avec des moyens
sans commune mesure avec ceux qui sont utilisés aujourd'hui pour
synthétiser quelques atomes d'éléments ultra-lourds. Cette
possibilité a aujourd'hui pratiquement disparu, même dans le
domaine informatique. Des astronomes amateurs peuvent encore
découvrir des comètes ou des planétoïdes, Heiko Bleher peut
encore parcourir les jungles à la recherche de nouvelles espèces de
poisson, mais pour l'essentiel, la recherche scientifique est le
domaine des gros laboratoires très bien financés.
Ce
que cela signifie, c'est que le rendement de la recherche
scientifique baisse de manière tendancielle. Jonathan Huebner, un
physicien travaillant au Navail Air Warfare Center, a ainsi démontré
que si on la mesure en brevet par habitant, le rendement de la
recherche scientifique baisse depuis 1873, et représentait en 1995
à peu prés les deux tiers de ce qu'elle était alors.
La fin d'une technologie : la mise au musée d'Atlantis |
Si
cela ne correspond pas à notre expérience quotidienne, c'est que
nous compensons en investissant toujours plus de ressources dans la
recherche. Ces investissement ne se limitent pas au financement
direct de la recherche. Il inclut toutes les dépenses d'éducation,
sans lesquels il ne peut y avoir de recherche, mais aussi une partie
des dépenses culturelles – par exemple l'entretien des
bibliothèques.
Si
notre capacité à investir devait se réduire, la recherche
scientifique risque fort de ne plus rien produire du tout. Et tous
ceux qui ont lu le rapport Meadows savent que c'est précisément ce
qui est sur le point d'arriver.
D'ailleurs,
lorsqu'on examine l'état réel de la science, on s’aperçoit
qu'elle ne progresse plus de manière significative que dans quelques
secteurs – essentiellement l'informatique et les biotechnologies.
Partout ailleurs les percées sont devenues une chose du passée. La
physique moderne tourne autour de la théorie de la relativité et de
la mécanique quantique, deux théories formulées au début du
XXème
siècle. Dans le domaine de l'énergie, la dernière percée – le
nucléaire civil – date des années quarante, et les technologies
miracles qu'on nous présente aujourd'hui sont souvent dans les
tuyaux depuis des décennies et risquent fort d'y rester.
Même
là où le progrès est encore rapide, comme dans l'informatique, il
se traduit de moins en moins par des avantages concrets pour le
commun des mortels. La mémoire vive et les capacités graphiques des
ordinateurs continue de croître, mais cela ne se traduit plus par
des gains de productivité, sauf dans des domaines très spécifiques
– l'édition de Libre Office sur laquelle je travaille n'est que
marginalement plus efficace que le Clarisworks de ma jeunesse.
Une voiture électrique en train de charger |
Nous
en arrivons même, pour préserver l'illusion d'un progrès rapide
dans tous les domaines, nous recyclons des technologies qui faisaient
fureur au début du XXème
siècle. C'est par exemple le cas de la voiture électrique, qui
dominait le marché américain entre 1897 et 1920, avec des
performances sensiblement identiques à celles qu'on nous proposent
aujourd'hui.
Nous
avons même abandonné quelques technologies, même si nous refusons
de l'admettre. Il n'y a plus de supersoniques civils dans no cieux,
par exemple, et l'industrie spatiale est retournée aux fusées des
années soixante.
Ce
phénomène a toutes les chances de s'accélérer au fur et à mesure
que nous nous heurterons aux limites de la croissances et que nos
ressources commenceront à décliner.
En
effet, les connaissances et les techniques que produit la recherche
scientifique doivent être constamment entretenues, faute de quoi
elles se dégradent et sont oubliées. Cela est arrivé relativement
fréquemment dans l'histoire. Les grecs ont ainsi oublié l'écriture
après la chute des cités mycéniennes. Cela peut nous arriver à
nous aussi.
Nous
disposons d'un système de formation extrêmement complexe et
coûteux, dont le but principal est d'éviter que nos connaissances
se perdent, en formant constamment de nouveaux spécialistes qui
remplaceront ceux qui meurent ou partent à la retraite. Ce système
se heurte, lui aussi, à la loi des rendements décroissants.
La
réduction programmée de nos ressources affectera nécessairement sa
capacité à remplir sa mission. C'est déjà le cas aux Etats-Unis,
où la crise financière a poussé les université à fermer un
certain nombre de département. En France, nous observerions plutôt
une baisse de la qualité de l'enseignement. Dans les deux cas, le
résultat final est le même : notre capacité à transmettre la
connaissance à la suivante diminuera, à terme de manière
drastique, et des technologies seront abandonnées. Cet abandon ne
sera pas brutal et ressemblera plutôt au lent déclin du rêve
spatial et l'acte final ne sera sans doute remarqué que par une
poignée de nostalgiques.
Le
reste d'entre nous sera sans doute occupé à retrouver des manières
de vivre et des technologies adaptées à un monde de ressources
rares et d’opportunités limitées, loin, très loin des promesses
vaines des techno-optimistes.
J'ai lu ton article sur agoravox et certains lecteurs voient apparemment l'avenir avec des lunettes roses, d'autres n'ont rien comprit au monde qui nous entoure et certains n'ont rien saisi de ton article, pour ma part je trouve ton article très bon et surtout très lucide, merci de l'avoir partagé.
RépondreSupprimerEn fait, je m'attendais à beaucoup moins de compréhension. Cela revient, après tout, à expliquer à des paysans médiévaux que Dieu et ses anges n'existent pas et que la résurrection des morts est une illusion. Il faut s'attendre à une certaine résistance
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