La
France est gouvernée par un parti
socialiste . Bien sûr, ce parti n'est pas
plus socialiste que le Parti
Révolutionnaire Institutionnel est révolutionnaire. C'est un
parti pro-statu quo défendant
les intérêts (et la bonne
conscience) des élites
urbaines ainsi que,
dans une moindre mesure, des fonctionnaires. Comme tous les partis
socialistes ou sociaux-démocrates en Europe, il
parle de réformes sociales et met en œuvre quelques réformes
sociétales, principalement destinées à sa
clientèle des
classe moyenne-supérieure. Comme tous les partis socialistes ou
sociaux-démocrates en Europe, il est aussi un outil de sélection
des candidats aux
fonctions politiques et répartit
les emplois
et les petits privilèges de ses membres, un rôle qu'il remplit
d'une manière de plus en plus conformiste. De
ce point de vue, et
comme dans les politiques
concrètes qu'il met en œuvre lorsqu’il
est au pouvoir, il n'est pas
différent de ses rivaux de droite.
Sa
relation avec ce qu'on appelle généralement le socialisme était
rhétorique dès le début et devient de plus en plus purement
historique avec le temps. Ceci, plus que les carcinomes in situ
cubains ou nord-coréens met
en évidence l'échec du socialisme à la fois comme idéologie et
comme
pratique politique, même dans le cadre éphémère de notre
civilisation.
Le
mot socialisme a été inventé en 1817 par Robert Owen, un
entrepreneur gallois avec un penchant humanitaire, dans un rapport à
la Chambre des communes intitulé "
Plans
de réduction de la pauvreté par le socialisme ". L'idée était
de créer des communautés de quelque 1.200 personnes vivant dans un
grand bâtiment en
forme de
carré, avec cuisine et réfectoires communs.
Chaque famille devait avoir ses propres appartements et élever
les
enfants jusqu'à l'âge de trois ans, après quoi ils devaient
être éduqués
par la communauté. Il devrait y avoir une parfaite égalité des
salaires. À l'époque, ces communautés ne couvriraient le monde
parce que ... car il était tellement grand, vous savez.
Inutile
de dire que la
Chambre
des communes n’a
pas été amusée,
même si elle devait
créer, 17 ans plutard,
des maisons spéciales pour indigents ... dans un esprit très
différent, car elles
étaient
expressément conçues
pour offrir
des conditions de vie
pire que le pire emploi disponible à l'extérieur. Owen a
néanmoins persévéré, en créant différentes communautés, qui
ont toutes échoué spectaculairement. La
plus connue
d'entre elle
fut New Harmony, dans l'Indiana, qui n'a duré que deux ans, et dont
Josiah Warren a écrit:
"
Il semble que les différences d'opinion, les goûts et les buts ont
crû en proportion de la demande de conformité Deux ans se sont
écoulé ainsi., à la fin desquels , je crois que pas plus de trois
personnes avaient le moindre espoir de succès. La plupart des
réformateurs ont tenté toutes les expériences possibles en
désespoir de cause de et le conservatisme s'est vue confirmé Nous
avions essayé toutes les formes imaginables d'organisation et de
gouvernement, nous avions un monde en miniature -... nous avions
adopté la révolution française de nombreuses fois avec des coeurs
désespérés au lieu de cadavres en guise de résultat ....
L'échec de Owen et de ses nombreux
imitateurs, notamment Fourrier et Cabet, a abouti à la
marginalisation dusocialisme utopique , même si l'idée de
communautés intentionnelles survit encores et bénéficie, de temps
en temps, d’un regain éphémères d'intérêt. Ces expériences ,
qui étaient nombreuses en Amérique pendant le XIX ème
siècle, continuaient les communautés religieuses du passé , mais
avec une différence essentielle. Contrairement aux monastères
catholiques ou aux communautés anabaptistes, l'objectif principal
n’était de ne pas de maintenir les croants, loin du monde afin
qu'ils puissent atteindre le salut, mais de donner un exemple que le
monde devrait, par la suite, suivre .
En cela, le socialisme, malgré ce que
certains auteurs modernes tels que Michea disent , était, dès le
départ, un enfant de la mythologie du progrès. Son objectif a
toujours été de mettre fin à la misère et aux inégalités par
l'application de la raison et la domination de l'homme sur la nature.
Sa principale différence avec ce qu'on a appelé la gauche pendant
le XIX e siècle était son attitude face
l'individualisme.
Ni le socialisme
utopique d’Owen,
ni les deux factions qui ont
lutté pour le contrôle des premières organisations socialistes (le
marxisme et l'anarchisme à
la Bakounine), étaient
particulièrement favorable à
l’individualisme. Cela
devrait être évident pour Marx, et si
Proudhon et Bakounine ont rejeté tout ce qui ressemblait
à une loi ou une autorité
politique, leur vision de la société ne ressemblait en rien à
celle d’Ayn Rand. Pour citer
Proudhon:
En
vertu de la loi d'association, la transmission de la richesse ne
s'applique pas aux instruments de travail, et ne peut donc pas
devenir une cause d'inégalité ... Nous sommes des socialistes ...
dans l'association universelle, la propriété de la terre et des
instruments de travail est la propriété sociale ... Nous voulons
que les mines, les canaux, les chemins de fer soient remis aux
associations organisées démocratiquement de travailleurs ... Nous
voulons que ces associations soient des modèles pour l'agriculture,
l'industrie et le commerce...
En fait, jusqu'à la fin du XIX e
siècle, le socialisme se considérait comme une
troisième force, sans aucun lien avec le droite (alors
contre-révolutionnaire) mais aussi avec la gauche, qui était le
parti du changement, du progrès et de la liberté du commerce . Même
si le socialisme, dans toute ses incarnations , est clairement un
enfant des Lumières car il vise à libérer l'humanité de sa
condition. Il était cependant ambivalent à l'égard du culte de
changement et de l'«innovation» si caractéristique de la gauche .
Pour citer le Manifeste du parti communiste:
La
bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les
instruments de production, ce qui veut dire les rapports de
production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le
maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au
contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la
condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de
la production, ce constant ébranlement de tout le système social,
cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent
l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports
sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de
conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ;
ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier.
Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout
ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin
d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports
réciproques avec des yeux désabusés.
Marx et Engels ne voient évidemment
cette instabilité permanente comme un processus agréable. Ils le
considèrent, cependant, comme une étape nécessaire sur la voie du
socialisme. Pour les citer à nouveau.
Nous
assistons aujourd'hui à un processus analogue. Les conditions
bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la
propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si
puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien
qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées
En
bref, c'est parce que la domination bourgeoise est destructrice
qu'elle
a
créé
les conditions de
l'avènement du socialisme et de la
sortie
de l'humanité de l'histoire. C'est, bien sûr, une
pur
logique prémillénariste,
mais, au moins, elle
suppose que l'atomisation et l’instabilité
permanente provoquée par la Société industrielle est une mauvaise
chose - l'œuvre du diable.
Nous
sommes à des années lumière à la fois du
libéralisme classique et des
membres
du Parti socialiste, comme Donique Strauss Kahn, qui affirme que «le
socialisme c’est
l'espoir, l'avenir et l'innovation".
Le
socialisme
traditionnel était une critique de la modernité, même s’il
était
imparfait . Il en
est
venu, cependant, à
s'allier avec la gauche libérale à la fin du XIX e
siècle
pour empêcher
la droite réactionnaire de
revenir au pouvoir, du
moins en Europe. En France, c’
est arrivé au cours de l' affaire
Dreyfus . Dans un premier temps, les
socialistes
français considéraient
la chose comme une «guerre civile bourgeoise" et refusaient
de prendre parti. Face à la réelle possibilité d'un coup d’état
, cependant, ils ont décidé de s'allier avec la gauche libérale
(alors appelé les républicains, en opposition à la droite
royaliste).
Le
résultat a été une absorption idéologique progressive du
socialisme par le libéralisme - et ironiquement la marginalisation
des partis libéraux dans toutes les démocraties européennes. Ce ne
fut
nullement un processus rapide ou
sans accrocs.
En France, où le Parti communiste est restée fort jusque
dans les années quatre-vingt ainsi, il ne
s’est
achevé que
sous
la présidence de François Mitterrand, même si la tendance était
visible dès la fin des années soixante. Bien sûr, cela a été
aidé par la révolution russe, dont
la
victoire qui pousse le
socialisme traditionnel
sur la voie du
totalitarisme. Une fois associé avec le
cauchemar cancéreux soviétique,
le
socialisme traditionnel orienté
vers la
classe ouvrière devait s'effondrer avec lui,
laissant le champ au libéralisme, avec sa célébration du
changement permanent, du
progrès et de son culte de l’individu.
Bien sûr, le socialisme traditionnel
était vouée à l'échec. Comme je l'ai dit, c'était un enfant des
Lumières et il visait à sortir l'humanité de l'histoire pour la
faire rentrer dans une sorte de paradis terrestre. Ce paradis est
certainement plus décent – pour utiliser le mot et le concept
d'Orwell - que son homologue libéral, mais cela ne veut pas dire
qu'il est possible sur une planète finie.
Si
la
Révolution russe avait échoué, un socialisme
décent,
du type préconisé Orwell aurait
pu se mettre en place en Europe, avec à la fois des institutions démocratiques et des limites strictes imposées à la logique mercantile. Il aurait quand cherché la croissance, cependant, et et serait entrés en collision, avec des conséquences potentiellement désastreuses, avec les limites des ressources de la Terre.
Marx
et Engels n'aimaient pas
Malthus,
et pas seulement parce que la thèse de Malthus était moralement
répugnant – elle
l’ai, d’ailleurs.
Le socialisme, comme il sied à une idéologie «moderne» comme
toujours cherché à libérer l'humanité de sa condition historique,
ce
qui est impossible tant que les
ressources
restent rares. Marx, comme de
nombreux
auteurs de son temps, pensait que
le progrès
scientifique et technologique, allait
faire de la pénurie une chose du
passé. Nous savons maintenant que c'était une illusion. Les
ressources fossiles, qui ont
donné à notre civilisation, une prospérité sans précédent,
s'épuisent à un rythme alarmant, et ce
n’est qu’une
question de temps avant que la quantité d'énergie disponible pour
notre société commence à diminuer en termes absolus - c'est
probablement déjà le cas pour l'énergie nette.
Notre
capacité à maintenir notre société en
état de fonctionnement
va diminuer au même rythme et à
la fin
notre civilisation se
fragmentera
et s’effondrera,
ne laissant que des ruines dans la jungle Que cette
société soit
socialiste, libérale
ou anti-capitaliste n’a
aucun effet sur ce
processus.
À
cet égard, les idéologies éco-socialistes qui se développent ici
et là, ne
sont des
tentatives pour sauver les ambitions messianiques du socialisme,
l’élément
même
qui
le
voue
à l'échec. Souvent, elles
disent
rien de plus que « tout cela est la faute des grands méchants
capitalistes » car
tout le monde sait que la Corée du Nord est une
gigantesque réserve
naturelle
ainsi que d'un paradis prolétarien.
Cela
ne signifie , cependant, pas que le socialisme n'a rien à offrir à
l'avenir.
Il doit, cependant, sortir du dogme et revenir à ses racines, c'est
à
dire
la révolte morale contre les
effets
destructeur et déshumanisant de la révolution industrielle, une
révolte qui n'était pas si différente de celle des
romantiques, même si elle avait un accent différent. C'est
l'approche de Orwell, Lasch et Michea, et cette indignation morale
restera valable longtemps après que
les dogmes
socialistes auront été
rendus obsolètes
par la chute de l'économie industrielle. Cette indignation morale
n'est pas seulement un appel à une
société décente,
mais c’est
également cela. C'est le refus de laisser la logique mercantile
envahir l'ensemble de la société. Ce
n'est pas plus une idée nouvelle que l'appel des romantiques à
un monde réenchanté mais le socialisme est la première idéologie
à
l'exprimer clairement.
Malgré son échec, au moins dans
cette civilisation particulière, il laisse un patrimoine à
préserver et à transmettre. De
même que raison
ne devrait pas être autorisé à envahir la totalité de l'espace
mental d'une civilisation, la logique mercantile doit rester
strictement subordonnée
aux valeurs fondamentales de cette civilisation, et notamment ce que
Orwell appelait la décence
commune, c’est
à dire les règles de base,
non écrites mais presque universelles
que notre espèce a
développé
pour rendre la vie en
société vivable. Cela ne signifie pas, par ailleurs, la suppression
de la propriété privée - ce qui est le plus sûr moyen d’arriver
à la tyrannie - mais sa
subordination aux intérêts et aux valeurs de la communauté.
Si nous parvenons à transmettre ce
patrimoine aux civilisations futures à travers les siècles de
ténèbres à venir, les efforts de générations de militants, aussi
imparfaite et erronée qu'ils aient été, n'auront pas été vains.
Mais
bien sûr, ne vous attendez pas à
ce que le
" parti socialiste " pour joue
un
rôle dans cela, il est
trop occupé à
boire du champagne et célébrer " l’avenir
" et " l’innovation
" .
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire