Un
an après son entrée en fonction, l'échec de Hollande et de
Jean-Marc Ayrault est patent. C'était bien sûr prévisible, tout
comme était prévisible la retraite du gouvernement, comme de ses
adversaires, d'ailleurs, sur des sujets sociétaux qui permettent de
cliver sans poser les questions qui risqueraient de vraiment fâcher.
Le
mariage pour tous était la conséquence logique d'une évolution
sociale, étalée sur quarante ans, qui a progressivement rendu
légitimes les couples de même sexe. Par ailleurs, il fait rentrer
dans la normalité familiale et conjugale une minorité longtemps
marginale. Son adoption était à la fois et souhaitable, et aurait
dû se faire comme en Grande Bretagne, sans polémiques ni
manifestations.
Dans
le domaine qui devrait être au centre des préoccupations du
gouvernement, c'est à dire l'économie, ce qui frappe c'est son
impuissance. Cette impuissance n'est pas seulement due à, disons,
l'apathie naturelle du président. Il est d'ailleurs remarquable que
les critiques de la droite ne portent pas sur le sens de la politique
qu'il mène mais seulement sur l'ampleur des "réformes".
Si
elle était au pouvoir, elle mènerait une politique similaire, avec
les mêmes appels incantatoires au retour de la croissance et la même
navigation à vue. Elle aurait sans doute la même absence de succès
qu'elle essayerait de cacher en mettant en avant tel ou tel sujet
sociétal.
Comme
l'a montré Jean-Claude Michéa, la gauche, née de l'alliance
historique entre le mouvement ouvrier et le "parti
du progrès et du mouvement",
s'est progressivement convertie aux idées portées par ce dernier.
Le verre était dans le fruit dés la fin du XIXème siècle
mais il ne s'est vraiment imposé qu'à partir de la fin des années
soixante par le biais des mouvements dits "gauchistes",
qui, contrairement au parti communiste, reflétaient les aspirations
des classes moyennes alors en pleine expansion. Les idéologies du
jouir sans entrave et de l'individu roi, même enveloppées dans une
phraséologie marxiste ou maoïste répondaient à leur appétit de
consommation et à leur volonté de bousculer les anciennes
hiérarchies.
Ce
sont elles qui sont restées lorsque les illusions trotskistes et
maoïstes se sont effondrées, préparant le terrain à la conversion
libérale de la gauche dite de gouvernement après l’abandon des
pourtant fort modérées ambitions réformatrices de 1981. Elles ont
d’ailleurs contaminé ce qui reste de la tradition socialiste
originelle puisque les formations de "la
gauche de la gauche" sont
très engagées dans des sujets sociétaux comme la "défense
des sans-papiers" ou le
droit de vote des étrangers. Si l’on excepte quelques fossiles
comme Lutte Ouvrière ou le Parti Ouvrier Indépendant, la gauche
"dure"
s’est largement ralliée à un libéralisme sociétal qui a
toujours historiquement préparé le libéralisme économique.
Une
évolution similaire s’est produite à droite où les libéraux
l’ont définitivement emporté sur le "parti
du trône et de l’autel"
après la guerre d’Algérie. La droite, aujourd’hui, n’utilise
plus le thème des valeurs et de la tradition que pour mobiliser un
électorat souvent populaire, et ce alors que la politique qu’elle
mène pousse à la dissolution de ces valeurs et de ces traditions
conçues comme autant d’obstacle à globalisation et à la
marchandisation généralisée. La encore seuls une poignée de
groupuscules, d’ailleurs aussi peu sympathiques que leurs
adversaires d’extrême-gauche, se situent en dehors de cette
logique.
La
droite et la gauche de gouvernement ne diffèrent donc
idéologiquement que sur des symboles ou des références militantes
et intellectuelles. Leur vision du monde profonde et la politique
qu’elles mènent sont remarquablement similaires... et recouvrent
pour l’essentiel la culture et les petites querelles des
différentes classes dirigeantes.

Cela
aurait pu avoir un sens au milieu du XXème siècle, cela
n’en a plus aujourd’hui. Notre civilisation se heure à deux murs
qu’elle ne peux dépasser. Le premier est celui de la complexité,
mis en évidence par Joseph Tainter dans un ouvrage de 1988 :
The
Collapse of Complex Societies.
Les
sociétés humaines sont des machines à résoudre des problèmes, et
elles le font en accumulant de la complexité. Là où les choses se
compliquent c’est que si cette stratégie est au départ très
efficace, elle
finit inévitablement par s’épuiser sous
l’effet de la loi des rendements décroissants. A
la fin, ces rendements deviennent négatif, c’est à
dire que complexifier la société appauvrit
cette dernière. Elle
devient de moins en moins capable de mobiliser les ressources pour
faire face à une urgence et devient un poids pour ses membres...
jusqu’à ce qu’une crise emporte tout.
Le
second mur est celui des ressources énergétiques. Comme le faisait
remarquer Tainter dans un article de 1996 intitulé Complexity,
Problem Solving, and Sustainable Societies :
L’industrialisation illustre ce
point. Elle a créé ses propres problèmes de cherté et de
complexité, y compris les chemins de fer et les canaux pour
acheminer le charbon et les biens manufacturés, le développement
d’une économie reposant de plus en plus sur la monnaie et les
salaires, et le développement de nouvelles technologies. Alors que
l’on considère habituellement que ces différents éléments de
complexité facilitent la croissance économique, en fait, ils ne le
font qu’en présence de subventions en énergie (…) Du fait des
subventions en combustibles fossiles bon marché, de nombreuses
conséquences de l’industrialisation furent effectivement bénignes
pendant longtemps. Les sociétés industrielles pouvaient se les
permettre. Lorsque les coûts énergétiques peuvent être supportés
facilement et sans douleur, le rapport bénéfices sur coûts des
investissements sociaux peut être largement ignoré (ainsi qu’il
l’a été dans l’agriculture industrielle contemporaine). Ce sont
les combustibles fossiles qui ont fait l’industrialisation et ce
qui en est sorti (comme les avancées scientifiques, les transports,
la médecine, l’emploi, le consumérisme, la guerre des nouvelles
technologies et l’organisation politique contemporaine), un système
de résolution de problèmes qui a été durable durant plusieurs
générations.
Or
les énergies fossiles abondantes et bon marché qui ont subventionné
le mode de vie industriel se raréfient.
La production de pétrole brut
conventionnel stagne depuis 2004 et pour répondre à la demande nous
sommes obligés de nous tourner vers des substituts
coûteux et difficiles à extraire comme le
pétrole de schiste ou les
sables bitumineux. Naturellement si ces substituts, qui sont connus
depuis longtemps, n’étaient pas exploités, c’est
qu’il y avait une bonne raison : leur
rendement est mauvais, parfois même négatif. Le rapport entre
l’énergie qu’ils fournissent et celle nécessaire à leur
extraction est très inférieur à celui du pétrole conventionnel,
ce qui se traduit par des coûts très élevés.
Le
résultat c’est qu’il reste de moins en moins de surplus pour
entretenir les infrastructures et faire croître l’économie. De là
vient son l’atonie
actuelle,
atonie particulièrement marquée en Europe car nous ne disposons pas
de matières premières, devons entretenir une société très
complexe avec quantités d’infrastructures matérielles et
immatérielles et ne disposons plus d’outils
monétaires,
ou d’une puissance
géopolitique qui nous permettrait,
à l’instar des États-Unis, de pomper la richesse de notre
périphérie.

C’est
d’ailleurs tout aussi vrai des politiques alternatives proposées
par l’extrême gauche, puisqu’au
delà des exercices rhétoriques, elle se place elle aussi dans une
perspective de complexification – qu’est-ce qu’une
"planification
écologique" sinon la construction d’une nouvelle bureaucratie
– et donc de croissance.
La
vrai question, celle qu’un PS soumis à l’idéologie libérale et
à la mythologie du progrès, ne peut se poser c’est pourquoi avons
nous besoin d’une croissance ? On pourrait, après tout se
contenter, d’une stabilité de la production, ou d’un cycle où
périodes de croissance et de décroissance s’équilibreraient.
C’est
en partie dû au fait que la comptabilité national – et pas
seulement la française – considère
les services non-marchands – l’armée par exemple – comme une
création de richesse, ce qui masque mécaniquement les variations, à
la hausse comme à la baisse, de l’économie productive. La
véritable difficulté, cependant, tient à notre système de
création monétaire. Nous créons de l’argent en créant de la
dette. Cela signifie que dans une économie donnée la masse de dette
est équivalente à la masse monétaire – et donc, soit dit en
passant, qu’annuler
la dette revient à retirer de l’argent du système. Cela signifie
surtout que l’économie doit croître constamment si l’on veut
que ces dettes soient remboursées. Si cette croissance est
inférieure à un certain niveau, une partie de ces dettes deviennent
impossibles à honnorer.
Si
elle devient négative, c’est l’ensemble du système qui risque
de s’enfoncer dans une spirale déflationniste.
Dans
un monde où l’épuisement des matières premières nous condamne à
une décroissance forcée de longue durée, c’est la porte ouverte
aux pires désastres. Et bien sûr, injecter de l’argent dans le
système, en créant de nouvelles dettes ou en imprimant des billets,
sera de moins en moins efficace et ne servira, à terme qu’à
détourner des ressources vers la spéculation et à générer de
l’inflation.
En
lieu et place des incantations à Sainte Rita qui remplissent
l’espace médiatique, il faut surtout nous demander comment nous
pouvons vivre bien dans une période de décroissance prolongée. La
société durable que les promesses des années 70 nous laissaient
entrevoir est sans doute définitivement hors de notre portée. Nos
infrastructures sont trop lourdes et le temps nous manque pour
effectuer une transition ordonnée. Une forme ou une autre
d’effondrement est à ce stade inévitable.
L’objectif
devrait-être désormais d’accompagner ce mouvement en faisant
exactement l’inverse d’une politique de croissance. Il s’agirait
de promouvoir le local et l’organique, de démanteler les
infrastructures inutiles, d’organiser le retrait de l’économie
monétaire au profit de l’autosuffisance, reconstruire les
communautés locales en dévalorisant l’individualisme.
En
gros, construire, avec le moins d’à-coups et de douleur possible
la civilisation d’après la croissance et la décroissance, un
monde qui ressemblerait à celui esquissé par David
Holmgren dans son scénario Earth
Steward.
Comme
le faisait remarquer Joseph Tainter, "c’est
une alternative utopique qui (…) ne se réalisera que si des
difficultés sérieuses dans les nations industrielles la rend
attractive et si la croissance économique et le consumérisme
disparaissent de notre idéologie"
Ce
n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la vision de
François Hollande, comme de ses principaux rivaux d’ailleurs. Et
c’est pour cela qu’ils sont condamnés à l’échec.