Toutes
les élections présidentielles ont leurs faux débats
et leurs faux scandales. Celle que nous venons de vivre ne fait pas
exception. On peut même dire que cette fois-ci nous avons été
particulièrement bien servis puisqu’aux déblatérations
des uns et des autres sur la viande halal s’est ajoutée
la censure par le Conseil Constitutionnel de la loi pénalisant
le harcèlement sexuel.
Sur
le fond il n’y a pas grand chose à en dire. La loi,
telle qu’elle avait fini par être rédigée,
était tellement vague qu’elle permettait de faire
condamner n’importe qui pour n’importe quoi. J’aurais
même pu attaquer la haridelle qui, un soir de quatorze juillet,
m’a abordé quatre fois de suite avant de me couvrir
d’injures parce que je ne lui avait pas payé une bière.
Cette
censure était d’ailleurs souhaitée par les
associations de victimes, même si elles ont regretté que
son effet soit immédiat. Ce n’est pas mon cas. Un vide
juridique, d’ailleurs relatif au vu des dispositions du Code du
Travail, est de loin préférable au calvaire qu’aurait
subi notre pauvre haridelle, certes laide, stupide et vulgaire, s’il
m’avait pris la fantaisie d’appliquer cette loi absurde à
la lettre.
Ce
qui est intéressant, cependant, ce n’est pas l’abrogation
en elle même, ni le cafouillis législatif dont elle est
la conséquence, mais la réaction des associations
féministes. Elles ont qualifié cette décision de
révoltante et ont manifesté en nombre (une grosse
dizaine) devant le siège du Conseil Constitutionnel. Yvette
Roudy, ancienne ministre de François Mitterrand s’est
même fendu d’une tribune dans le monde où elle
contestait la légitimité de la décision en
question, basée, rappelons-le sur la Déclaration des
Droits de l’Homme.
C’est
d’autant plus ironique que c’est sous la pression des
associations que la loi, au départ cohérente, est
devenue le monstre juridique que l’on sait.
Une
nouvelle loi sera sans aucun doute prochainement votée et on
peut espérer qu’elle sera rédigée à
peu prés correctement. Le harcèlement, sexuel ou autre,
est un délit grave et un fléau social qu’il
convient de réprimer sévèrement. Au delà
de l’anecdote, cependant, ce que cette affaire met en lumière,
c’est la dégénérescence du féminisme.
Lorsqu’il
est né autour d’Olympe de Gouge en France et de Mary
Wollstonecraft en Grande Bretagne, le féminisme avait pour but
de faire reconnaître les femmes comme des êtres humains à
part entière, et ce à une époque où les
droits des femmes étaient plutôt en régression.
Le droit de vote des femmes n’était, en effet, pas
étranger à l’Europe de l’ancien régime.
Ainsi, entre 1718 et 1771 les femmes pouvaient participer aux
élections suédoises, tant locales que nationales, pour
peu qu’elles appartiennent à une guilde et payassent des
impôts.
D’une
manière générale l’industrialisation et la
généralisation du mode de vie bourgeois se sont
traduits par une régression de l’influence des femmes à
la fois dans la vie intellectuelle – la disparition des salons
– et dans la vie économique. Elles ont, en effet, au
même titre que les hommes, d’ailleurs, été
dépossédées de leur métier et
transformées en simples rouages de la nouvelle économie
industrielle, notamment dans l’industrie textile.
Cette
dépossession s’est d’ailleurs accentuée
dans les années cinquante avec la dislocation de la sphère
domestique et l’apparition de la femme au foyer. En effet, et
contrairement aux clichés machistes, les femmes étaient
auparavant très impliquées dans l’économie,
même si ce n’était pas nécessairement
l’économie monétaire. Seule la bourgeoisie
pouvait se permettre de maintenir ses femmes dans l’oisiveté.
Alors
que les troupes rentraient à la maison, le gouvernement et
l'industrie ont fait tout leur possible pour chasser Rosie la
Riveteuse de l'usine et la transformer le plus vite possible en Suzy
la mère au foyer, afin de libérer des emplois pour des
millions de soldats démobilisés. Dans le même
temps, la quête de marchés pour alimenter l'expansion de
l'économie de consommation et donner des emplois à ces
mêmes millions jeta l’économie monétaire à
l’assaut de l’économie domestique..
La
propagande d'après-guerre – le mot «publicité»
est trop doux pour les campagnes de saturation qui ont inondé
les médias populaires dans les années 1940 et au début
des années 1950 – présentait les familles de la
classe moyenne comme un idéal d'opulence dans lequel, les
produits de consommation les plus modernes remplaçaient la
routine terne de l'économie domestique par une vie d'élégance
et de loisirs. La réalité derrière la façade
s'est avéré être beaucoup moins agréable.
Chassées à la fois de l'économie de marché
où elles avaient été très présentes
pendant les années de guerre, et de l'économie
domestique que leurs mères avaient tenue auparavant, des
millions de femmes américaines des classes moyennes ont mené
une existence purement décorative et sans objet.
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Le
problème du féminisme tient à ce qu’il a
gagné l’essentiel de ses batailles, politiques au début
du vingtième siècle avec la progressive généralisation
du vote des femmes, puis sociétales au cours de la seconde
moitié de ce même siècle. Certes il subsiste des
différences statistiques, mais ils correspondent aux choix,
voire même aux désirs, des intéressées, et
si ces choix et ces désirs sont socialement contraints, cela
ne les rend pas pour autant illégitimes, pas plus que leurs
conséquences, volontaires ou non.
Son
succès a posé au féminisme des problèmes
que pour l’essentiel il n’a pas su répondre, comme
le fait remarquer Greer :
De
nombreuses injustices furent corrigées, ou du moins
contestée, et des rôles sociaux qui étaient
devenus désespérément restrictif pour les femmes
comme pour les hommes ont subi une réévaluation bien
nécessaire. Pourtant, alors que le féminisme des années
soixante et soixante-dix diffusait dans la culture populaire, il a
subi dans une certaine mesure le sort de tous les mouvements sociaux
progressistes dans l'Occident moderne: au lieu de remettre en cause
le système des privilèges masculins, et les présupposés
qu'il sous-tend, de nombreuses femmes qui se considéraient
féministes ont simplement cherché à s’approprier
des positions de privilège dans le système existant.
Le
succès même du féminisme a eu toute une séries
de conséquences néfastes, à la fois pour le
mouvement, ou du moins la perpétuation de ses idéaux,
et pour les femmes en général.
La
première est bien sûr la montée en visibilité
et en influence du radicalisme. Le féminisme a toujours eu une
frange extrémiste, que ses adversaires considéraient
comme représentative de l’espèce. Comme toutes
les franges, celle-ci n’a qu’une considération
très relative pour les droits humains et la démocratie,
au point que pour certaines d’entre elles, le terme "feminazi"
apparaît moins comme une insulte qu’une description.
C’est ainsi que Mary Daly a pu dire "Si
la vie doit survivre sur cette planète, il va falloir la
décontaminer. Je pense que cela sera accompagné d’une
évolution qui conduira à une réduction drastique
de la population des mâles".
D’ailleurs,
si l’on veut trouver une transphobie articulée,
théorisée et assumée, c’est chez les
féministes radicales qu’il faut aller. Le livre de
Janice Raymond, The Transsexual Empire,
où elle écrit "tous
les transsexuels violent le corps des femmes en réduisant la
forme femelle réelle à un artefact",
est de ce point de vue particulièrement éclairant.
Naturellement,
les radicales ne constituent qu’une toute petite partie du
mouvement et n’ont de poids que dans le monde académique.
Il n’en reste pas moins que leur influence, comme l’a
déploré, par exemple, Elizabeth Badinter, dépasse
de loin ce que leur petit nombre et leur relative obscurité
pourrait laisser supposer.
Le
second problème est la focalisation sur des symboles creux. Ce
n’est pas une spécificité féministe et le
courant d'où je viens s'y livre souvent avec un enthousiasme
touchant, pour des raisons d'ailleurs fort similaires. L'exemple le
plus récent en a été la "bataille"
pour l'élimination de la case mademoiselle sur les formulaires
administratif. Dans une société où la moitié
des enfants naissent en dehors du mariage, cette mention n'a
effectivement pas grand sens, mais en faire un symbole, même
mineur, d'une supposée oppression masculine n'en a pas
beaucoup plus. Il en est de même d'ailleurs des règles
de l'accord de l'adjectif qui n'est qu'un fossile de l'époque
où l'ancêtre de notre langue n'ait ni masculin ni
féminin, mais un animé générique qu'on
opposait à un inanimé tout aussi générique.
Ces
symboles creux permettent d'obtenir des victoires aussi faciles que
futiles, et donc de conserver la dynamique du mouvement. Ils
permettent surtout de masquer derrière un écran de
fumée idéologique l'évolution d’un
mouvement qui, après avoir servi l'ensemble des femmes et leur
avoir permis d'accéder à la citoyenneté, en est
venu à ne plus défendre que la bonne conscience et les
intérêts de certaines femmes. C'est d'ailleurs loin
d'être un cas isolé dans une gauche sociétale
dont on se demande de plus en plus ce qu'elle a de gauchiste.
Pour
ce faire, on utilise deux outils, particulièrement répandus,
on doit le dire, dans la dite gauche sociétale : la
victimisation et la logique des quotas.
Nous
avons pu observer la victimisation à l’œuvre lors
de l'affaire DSK, non que l'individu soit particulièrement
recommandable – le qualifier de gros porc est une insulte à
la gent porcine et certains membres, pas nécessairement
masculins d'ailleurs, de l'establishement ont tenu, à cette
occasion, des propos regrettables. Le problème c'est que les
réactions n'avaient rien à voire avec le droit, que ce
soit celui de la plaignante à être écoutée
ou celui de l'accusé à bénéficier d'un
procès équitable. Certains ont, par intérêt
de classe ou de clan, essayé de défendre un individu de
plus en plus manifestement indéfendable. D'autres ont pris le
parti systématique de la plaignante, criant au scandale et à
la phallocratie lorsqu'il s'est avéré que la dite
plaignante n'était pas totalement digne de confiance.
Le
problème avec la logique victimaire c'est qu'elle reconstitue
la vieille dichotomie victorienne entre l'épouse et la
prostituée, en donnant le beau rôle, non pas à la
victime, mais à ses défenseurs autoproclamés.
Une victime, voyez-vous, n'est, par définition, pas maître
de son destin. Elle est là pour incarner la cause, être
soutenue, et éventuellement devenir un(e) militant(e) en
adoptant l'idéologie de tel ou tel groupe.
Et
malheur à elle si elle ne joue pas la partition qu'on lui a
écrite, comme le fait remarquer Sylvianne
Spitzer :
[…]
je suis assez étonnée de cette volonté de
prendre en charge totalement la femme victime. Certes elle demande de
l'aide, mais comme les hommes victimes, elle doit réapprendre
à agir seule, sans contrôle. Or, l'impression première
qui j'ai ressenti face à ces discours c'est qu'en fait ces
associations cherchent à se substituer au mari "contrôleur".
La femme deviendrait alors victime de l'association à laquelle
elle s'adresse car cet organisme la replonge dans un statut
infantilisé.
Le
concept de victime étant étendu à toutes celles
qui ne sont pas militantes, grâce à la notion, souvent
extrêmement vague, de patriarchie, on en vient à dire
que toutes les femmes qui ne suivent pas la ligne sont aliénées,
et l'aliénation, lorsqu'elle devient obstinée, commence
à sérieusement ressembler à de la traîtrise.
Écoutons par exemple Anne
Zelenski, féministe historique, passée il est vrai
récemment à l'extrême droite.
Quelques
affaires émergent, vite étouffées, avec la
complicité des autres femmes du voisinage politique, familial,
toujours prêtes à lécher la main du maître
et à se désolidariser de leurs paires. Tout se tient :
la violence ne se perpétue qu’avec le consentement plus
ou moins tacite de ses victimes.
Cette
course à l’échalote victimaire n'est évidemment
pas le privilège des féministes. Elle gangrène
l'ensemble de la gauche sociétale – avec un bémol
pour le mouvement gay, car il lutte contre de réelles
discriminations légales. La lutte pour des droits réellement
universaux se transforme en une espèce de compétition
pour présenter la plus belle victime, quitte à la
transformer, pour les besoins de la cause en ready-made de telle ou
telle idéologie. Et cela implique naturellement d'excommunier
tous ceux ou celles qui nuiraient à son caractère de
victime absolue ; Il n'y a qu'à voir ce qui est arrivé
Sylvianne Spitzer, fondatrice de SOS Hommes Battus, ou à
Elizabeth Badinter aprés la publication de Fausse Route.
La
logique des quotas est encore plus pernicieuse car elle peut être
justifiée dans le domaine politique. Les démocraties
modernes sont censées être représentatives et
contrairement aux immigrés les femmes ne peuvent s'assimiler à
la masculinité. Il est donc normal qu'elles soient également
représentées dans les assemblées.
Le
monde professionnel, lui, n'a pas pour obligation d'être
représentatif. Sa seule obligation est d'offrir à
chacun les mêmes chances de réussite et de ne
discriminer personne sur la base du sexe ou de l'origine. Ce n'était
certainement pas le cas avant les années soixante-dix et les
luttes qui ont permis d'imposer ce principe dans la loi, et sur ce
point sur ce point, le féminisme était indubitablement
nécessaire
L'égalité
de résultat est quelque chose de totalement différent,
et de beaucoup plus contestable. Les différences statistiques,
de revenu et de carrière, qui subsistent entre les deux sexes
tiennent à la grossesse, qui, depuis la généralisation
de la contraception, est un choix que l'on peut espérer
mûrement réfléchi, et aux choix de formation et
de carrière des femmes et des hommes. Pour faire simple et
pour sortir des catégories supérieures qui ne
concernent, au fond, que peu de monde, plus de femmes postulent à
des emplois de secrétaires qu'à des emplois d'éboueurs,
et ce alors que les éboueurs sont souvent, et à juste
titre, mieux payés.
Bien
sûr, ces choix sont socialement contraints, mais il est de même
de tous les choix que nous faisons. Si j'étais né dans
un camp de réfugié palestinien, je serais peut-être
devenu djihadiste. Le caractère socialement contraint de ce
choix n'aurait strictement rien enlevé à ma
responsabilité, ni à l'obligation que j'aurais eu d'en
assumer les conséquences. Il en est de même pour la
celibattante qui se retrouve à cinquante ans seule face à
sa solitude ou à la mère de famille du même âge
qui se surprend à regretter la carrière qu'elle n'a pas
eu.
Nier
la légitimité de ces choix revient par ailleurs à
infantiliser ceux et celles qui les font, à leur dire en
substance "votre volonté
n'a pas d'importance si elle ne s'accorde pas avec la ligne du
parti", et donc à
replonger les femmes dans l'état de perpétuelle
mineures dont elles s'étaient si péniblement extraites.
La
logique des quotas a aussi pour effet, et je ne suis pas sûr,
que cela soit si involontaire que cela, de grandement faciliter la
vie professionnelle de celles qui ont choisi une carrière
boudée par les femmes. Les candidates étant moins
nombreuses, la lutte pour les places (réservées) les
plus prestigieuses est moins féroce, et les chances de gagner
nettement plus substantielles.
Le
problème c'est que l’accès à ces postes
est toujours conditionné à la possession de certains
diplômes, de certaines connections, et à la maîtrise
de certains codes. Les quotas ne bénéficieront donc
qu'à une petite minorité de déjà
privilégiées. Il me paraît, en effet peu probable
que le système de quota soit étendu à des
profession ne requérant pas l’une ou l’autre de
ces qualités, comme par exemple mineur de fond, soldat de
première ligne en Afghanistan ou manœuvre dans la
construction.
Ils
favorisent donc moins les femmes que des femmes, celles qui sont déjà
au sommet de la hiérarchie sociale. Alors certes, on peut
considérer les femmes comme une "classe"
et dire, comme le font les féministes radicales, que ce qui
bénéficie à certaines d'entre elles bénéficie
à toutes ; C'était certainement vrai pour les
droits politiques et sociaux, comme pour la libéralisation de
l'avortement et de la contraception. Ces combats devaient être
menés, et ils devaient l'être au nom de toutes les
femmes.

Les
choses sont différentes dans le domaine social, cependant, et
on peut se demander quel intérêt a une caissière
de supermarché à ce que la carrière de la cadre
supérieure qui gère sa destinée dans un lointain
bureau parisien soit accélérée. Ont peut
évidement dire qu'elles sont toutes deux des sœurs en
oppression et qu'elles doivent s'unir pour contrer la tyrannie des
manutentionnaires. Je doute, cependant, que ce discours ait beaucoup
de succès en dehors des gender studies. Un siècle
et demi de luttes sociales nous enseignent au contraire que c'est
avec les manutentionnaires que les caissières doivent
s'entendre pour rogner les privilèges de la cadre supérieure.
De
ce point de vue, les quotas, en matière professionnelle,
apparaissent moins comme une mesure féministe que comme une
escroquerie au "toutes
ensemble" – toutes
ensemble, certes, mais pour l'intérêt d'un petit nombre.
C'est
cependant dans le domaine des représentations que les dégâts
sont les plus importants, et, potentiellement, les plus destructeurs.
Les sociétés traditionnelles enfermaient les deux sexes
dans des rôles sociaux rigides. La rigidité de ces rôles
variait, notamment aux marges de la sociétés. C'est
ainsi que les sources romaines parlent d'une gladiatrice nommée
Amazonia, et que l'on a trouvé dans les ruines d'un ludus
de Pompei, le cadavre d'une apparemment très riche matrone
entourée de huit gladiateurs, prouvant que les femmes aussi
pouvaient être "clientes".
Il
n'en reste pas moins que dans la société normale, les
choix de vie que vous pouviez faire étaient sévèrement
limités par votre sexe de naissance. Par ailleurs, les rôles
féminins étaient universellement considérés
comme inférieurs aux rôles masculins. Le féminisme
aurait normalement dû abattre cette barrière et
supprimer cette hiérarchie. Il a largement abattu la barrière
et encouragé les femmes à investir les rôles
traditionnellement masculins – une excellente chose en soi. Le
problème, c'est qu'il n'a pas aboli la hiérarchie. Il
l'a même renforcé en se focalisant sur les postes les
plus prestigieux, du point de vue masculin, et en valorisant les
critères masculins de la réussite.
C'est
pour cette raison que le discours des associations féministes
sur la libération des hommes sont si ridicules. Les rôles
qu'elles souhaitent voir les hommes libérés embrasser,
sont précisément les rôles traditionnellement
féminins qu'elles dévalorisent elles-même, que ce
soit ceux liés à la maternité / paternité
ou à l'économie domestique. C'est d'autant plus absurde
et regrettable que les hommes ont tout à gagner à
l'affaiblissement des barrières de genres. C'est effectivement
par là que passe leur libération. Pour qu'ils
investissent les activités traditionnellement féminines,
du moins ceux qui le souhaitent, il faudrait cependant qu'elles
soient un minimum valorisées, ce dont le mouvement féministe,
dans son immense majorité, ne veut pas entendre parler.
Les
hommes libérés concrets le sont donc surtout de leur
rôle traditionnel de père et d'époux. Ils se
saoulent, passent leurs nuits sur World of Warcraft et courent la
gueuse ou, comme les MGTOW américains ou les herbivores
japonais, évitent toute relation sentimentale et consacrent
leur temps, leur argent et leur énergie à leur
carrière, leurs passions ou leurs hobbys, toutes ces choses
qu'une femme leur ferait négliger ou abandonner.
On
doit à la vérité de dire que j'ai une nette
préférence pour le second concept, même si je
m'autorise quelques escapades du côté du premier.
Ce
sont les femmes, cependant, qui pâtissent le plus de cette
erreur stratégique. Une grande partie d'entre elles, surtout
dans les classes populaires, s'investissent dans des rôles
traditionnellement féminins. Ce choix est aussi respectable
que celui de leur consœurs et il devrait leur permettre de
réussir leur vie. La hiérarchie traditionnelle du
féminin et du masculin ayant été maintenue, et
même renforcée, ce n'est plus possible.
L'investissement
dans la vie domestique n'est plus réellement un rôle
social reconnu et les métiers correspondant à la sphère
traditionnellement féminine sont dévalorisés,
justement parce que la hiérarchie traditionnelle n'a pas été
abattue ni même sérieusement contestée. En fait
le discours féministe s'y oppose implicitement, et pour ce qui
est de la revalorisation de la sphère domestique,
explicitement.
J'avoue
personnellement que je considère une infirmière ou une
mère au foyer beaucoup plus utile pour la société
qu'une directrice des ressources humaines chargée des plans
sociaux. Je suppose que c'est une question de valeur.
Là
où cet échec à inverser l'échelle des
valeurs patriarcales peut se révéler désastreux
pour les femmes, c'est que la liquidation de l'économie
domestique et sa marchandisation progressive est temporaire. L'une et
l'autre n'ont été rendues possibles que par
l'exploitation des énergies fossiles et l'industrialisation.
Depuis
le rapport Meadows fait au Club de Rome en 1972, nous savons que les
ressources qui nous ont permis d'édifier notre civilisation
sont en voie d'épuisement, et s'il aurait été
possible à l'époque d'effectuer une transition ordonnée
vers une économie soutenable, ce n'est, aujourd'hui, plus
envisageables.
Cela
aura de multiples conséquences, la plupart d'entre elles
désagréables. L'économie domestiques fera ainsi
son grand retour, au fur et à mesure que la société
perdra les moyens de payer pour ses substitut marchands. Nombre de
ces substituts appartenant à l'espace traditionnellement
féminin, cela se traduira par un repli des femmes vers
l'économie domestique (et des hommes vers l'économie
informelle).
Les
femmes des catégories supérieures conserveront sans
doute leur accès au pouvoir et au prestige, accés
garanti ou non par des quotas. Les autres, cependant, seront
renvoyées à une sphère domestique que l'erreur
stratégique des féministes aura dévalorisée
bien au delà de ce qu'elle était autrefois.
Ce
n'était pourtant nullement une nécessité, mais
dans le monde des idées comme sur les champs de bataille, les
erreurs se payent cash.