Au
cours des élections
législatives, j'ai soutenu les Verts parce que ... he
bien, parce qu'il y avait un
accord national qui pourrait (et en fait ne) nous faire
gagner un député
et officiellement approuver cette dame
faisait
partie du deal.
Quant à mon opinion sur la chose ... bien, disons simplement dire
que, parfois, vous devez
faire votre travail.
Un
des avantages de la situation, c'est que j’ai pu observer le
fonctionnement interne du groupe Vert locale (du moins la faction qui
avait gagné le combat, plutôt brutal, pour la nomination) et ai été
forcé d'assister à quelques réunions, où je n'aurais pas pris la
peine d'aller autrement. Au cours de l'un d'eux - un soi-disant "
café politique " , quelqu'un a soulevé la question du "revenu
de base".
Pour
ceux qui grenouillent pas dans la politique radicale, le revenu de
base est un revenu accordé sans condition à tous les citoyens (ou
habitants) d'un pays donné. La France a déjà quelque chose de ce
genre. Cela s’appelle le RSA.
C’est
évidemment un revenu très basique. Le salaire médian en France est
d'environ 1600 € et je loue mon T3 pour 517 €. Saint-Nazaire est
d'ailleurs une ville ouvrière et le logements ont tendance à bon
marchés par ici. Je ne pourrais probablement pas trouver un
appartement équivalent à Paris, même pour trois fois ce prix. Même
si il peut être complétée par d'autres aides, le RSA ne permet pas
de festoyer. Vous pouvez survivre avec, mais guère plus.
Bien
sûr, il ne s'agissait pas de ce genre de revenu de base dont notre
militant vert parlait. Ce dont elle parlait, c'est d’un revenu plus
ou moins égal au salaire minimum C'est une idée populaire parmi
dans les milieux décroissants et dans certaines sections du
mouvement vert et de l'extrême gauche. Une de mes copines y croyait
beaucoup, et c’est indubitablement une mauvaise idée - la copine
en question était également une mauvaise idée mais c’est un
autre problème.
La
principale raison à cela devrait être évident pour quiconque
vaguement au courant du pic énergétique. Même ses partisans
reconnaissent que la faisabilité d'un système de revenu de base est
fortement tributaire de l'existence de la civilisation industrielle.
Comme
le philosophe français André Gorz écrivait en 1989:
...
Le lien entre plus et mieux a été rompu; nos besoins pour de
nombreux produits et services sont déjà plus que suffisamment
satisfaits, et beaucoup de nos besoins encore insatisfaits seront
satisfaits non pas en produisant plus, mais en produisant
différemment, en produisant d'autres choses, ou même en produisant
moins. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne nos besoins
en air, en eau, en espace, en silence, en beauté, en temps et en
contact humain ...
Du
point où il ne faut que 1000 heures par an, soit 20.000 à 30.000
heures par vie pour créer une quantité de richesse égale ou
supérieure à la quantité que nous créons à l'heure actuelle en
1600 heures par an, soit 40.000 à 50.000 heures dans une vie de
travail, nous devons tous pouvoir obtenir un revenu réel égal ou
supérieur à nos salaires actuels en échange d'une quantité très
réduite de travail ...
Il
n’est plus vraique la plus chaque individu travaille longtemps,
mieux ce sera pour tout le monde. La crise actuelle a stimulé une
évolution technologique d'une ampleur et d’une vitesse sans
précédent : «la révolution informatique. L'objectif et l'effet de
cette révolution a été de faire des économies de plus en plus
rapidement dans le travail, dans les secteurs des services
administratifs et industriels. L’augmentation de la production est
assurée dans ces deux secteurs par des quantités décroissantes de
travail. En conséquence, le processus social de production n'a plus
besoin que tout le monde travaille sur une base de temps plein.
L'éthique du travail cesse d'être viable dans une telle situation
et de la société du travail est en crise ...
-
André Gorz, Critique de la raison
économique, Gallile 1989
L'idée
selon laquelle le règne de la machine va briser le lien historique
entre le travail et le revenu est aussi vieille que la Révolution
Industrielle. Il est implicite au début de la pensée marxiste.
Ainsi, dans la Critique du programme de Gotha, Karl Marx lui-même a
écrit:
Dans
une phase supérieure de la société communiste, quand auront
disparu l'asservissante subordination des individus à la division du
travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et
le travail manuel; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de
vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital;
quand,
avec le développement multiple des individus, les forces productives
se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la
richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement
l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement
dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux « De
chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !
Ce
qui signifie que sous le communisme, on rasera perpétuellement
gratis, ce qui correspond à ce qu’est fondamentalement le revenu
de base. Nous savons, bien sûr ce qu’il en est advenu et les
régimes et partis marxistes réels ont rapidement développé une
forte éthique du travail, parfois jusqu’au ridicule - quelqu'un se
souvient-il de Stakhanov?
Bien
sûr, cela ne signifie pas que l'idée d'un rasage gratuit généralisé
soit morte. Elle a simplement migré vers les techno-optimistes, qui
ont remplacé la " phase supérieure du communisme" par le
progrès technologique, lequel fera que les travailleurs seront
progressivement remplacés par des robots et des usines automatisées.
Cela permettrait d'accroître considérablement la richesse de la
société, mais aura aussi un impact dévastateur sur les employés
et les ouvriers réduira considérablement la classe moyenne, ce qui
rendra un revenu de base généreux à la fois réalisable et
socialement et politiquement indispensable. La seule autre option
serait le développement d'une classe permanente d'anciens ouvriers
et employés déclassés, avec toutes les conséquences politiques
désagréables que cela peut entraîner.

Le
problème, bien sûr, est que cet avenir de robots et d’usines
automatisées ne verra jamais le jour. Ce n'est pas l'automatisation
en soi qui a engendré la révolution industrielle et par là
notre société, mais l'accès aux énergies fossiles. Sans charbon,
pétrole ou gaz et sans l'appareil social très complexe dont ils
ont besoin pour leur fabrication et leur maintenance, nos machines ne
servent à rien.
En
outre, la capacité de notre économie à créer des surplus, qui
peuvent être utilisé, entre autres, pour financer un système de
revenu de base, est en constante diminution. Comme nous remplaçons
le pétrole et le charbon bon marché par des substituts de moins en
moins adéquats tels que le lignite ou les sables bitumineux ou, que
les Dieux nous pardonnent, l'éthanol, et sommes obligés de
consacrer toujours plus de ressources à l'extraction de l'énergie,
l'excédent net, sur lequel vit notre civilisation, se réduit.
Ajoutez à cela la nécessité de maintenir une infrastructure
gigantesque, à la fois matérielle et immatérielle, avec des
ressources au mieux stagnantes, et il est facile de comprendre que,
même si notre PIB nominal croît encore, il devient de plus en plus
difficile de mobiliser des ressources pour faire réellement quelque
chose.
C'est
exactement ce qui se passe aujourd'hui dans une Europe encore riche,
et il est évident que même si notre PIB est théoriquement assez
important pour que nous accordions à tous nos citoyens un revenu de
base, une telle proportion est immobilisée par la dette et
l’entretien de nos infrastructures que garder notre système de
protection sociale en l’état est probablement impossible.
Il
y a, cependant, une autre raison, plus profonde, et de rejeter le
revenu minimum: on a déjà essayé.
C'était
le pain du fameux "pain et des jeux". A l'origine une
nation de petits agriculteurs, la République romaine s’est
laissée aller au latifundisme. Les paysans écrasé de dettes ont
vendus leurs terres aux grands propriétaires et se sont enfuis à
Rome, à la recherche d'un emploi que plupart d'entre eux n'ont pas
trouvé. En 123 avant JC, Tiberius Gracchus avait fait voter au Sénat
une loi sur grain en vertu de laquelle une partie du blé collecté
par l'Etat était vendu aux citoyens à un tarif subventionné.
Tiberius Gracchus a également poussé pour une réforme agraire
assez radicale, qui lui a valu une collision fatale avec une chaise
au cours d'un débat sénatoriale plutôt viril.

Les
empereurs ont continué la
pratique et l’ont même
complétée avec des
distributions d'huile
d'olive, de vin ou de porc. Le raisonnement était que tant que la
foule était
bien nourrie
et divertie,
elle laisserait
la politique à l'empereur et sa cour. Cela
n’a pas très bien marché
avec l'armée et la garde prétorienne, mais a été très efficace
avec la plèbe romaine
romaine. Comme le poète Juvénal le
disait dans ses Satires:
Ces
Romains si jaloux, si fiers de leurs suffrages,
Qui
jadis commandaient aux rois, aux nations,
Décernaient
les faisceaux, donnaient les légions,
Et
seuls, dictant la paix, ou proclamant la guerre,
Régnaient
du Capitole aux deux bouts de la terre,
Esclaves
maintenant de plaisirs corrupteurs,
Que
leur faut-il ? du pain et des gladiateurs.
Bien
sûr, à la fin, des
étrangers barbus avec un accent bizarre
et une religion qui
sentait le souffre
ont
conquis
le grenier à blé de l'Empire et leur chef, un gentilhomme
du nom de Genséric
a décidé que le blé
devait
rester chez
ceux qui le
produisaient.
Rome pouvait distribuer gratuitement
du blé parce qu'elle pillait impitoyablement ses propres provinces,
détruisant sa propre base de ressources et ouvrant la voie à sa
propre destructions. Nous devrions détourner des ressources déjà
limitées de l'entretien de notre propre civilisation, accélérant
de ce fait sa désintégration. Les principes régissant le revenu de
base et la distribution romaine de blé sont les mêmes, cependant:
la dépendance, l'aliénation et le sentiment que tout nous est dû.
Les partisans de ldu revenu de base
disent que nous y avons droit, parce que nos sociétés sont riches.
Le problème est que cette richesse ne vient pas de nulle part. Une
partie de celle-ci est le produit d’un système impérial en
difficulté mais encore vigoureux qui transfère la richesse et les
ressources du sud vers le nord sous la menace de la force militaire.
Une autre partie provient de la surexploitation effrénée des
ressources naturelles non renouvelables, ce qui signifie
essentiellement que nous les volons à nos descendants. Pour ce qui
est probablement la classe la plus favorisée dans l'histoire
humaine, passé et avenir confondus, revendiquer le droit de
détourner encore plus de ressources afin de pouvoir vivre sans
travailler revient à dire "tout
nous est dû, et peu importent les conséquences".

Le revenu de base est, en fait, la
conséquence logique de l'idée selon laquelle l'Univers doit nous
donner tout ce que nous voulons, pour peu que nous criions assez
fort.
Bien sûr, cela ne signifie pas que
nous devons abolir l’état-providence
avant qu'il ne devienne insoutenable. L’état-providence
n'a rien à voir avec le revenu de base, parce que son but est
d'aider les personnes dans le besoin, tant qu'elles
sont dans le besoin, mais pas une heure de plus. C'est la solidarité
humaine de base et il est révélateur que les mêmes religions
monothéistes qui disent "Celui
qui ne veut pas travailler qu’il
ne mange pas non plus"
fassent de la charité
un devoir.
Ce sont deux concepts distincts.
Selon ses partisans, le revenu de base
va nous libérer et nous permettre de nous consacrer à l'art, la
culture, ou ce que Jeremy Rifkin appelle le tiers secteur - les
organismes de services communautaires et volontaires. Ceci,
cependant, est une utopie bobo. Dans les communautés réelles, rien
n'est vraiment gratuit. Si on aide quelqu’un gratuitement, c’est
parce qu’on attend un renvoi d’ascenseur. Si la coopération est
si répandue, c'est parce qu'elle est nécessaire au bien-être, et
parfois à la survie de chaque individu.
En distribuant librement des
ressources, l'état, ou ce qui aura pris sa place, remplace en fait
une relation horizontale entre les membres d'une même communauté
par une relation verticale entre un individu et le pouvoir politique
qui le nourrit - et peut cesser de le faire à tout moment. Le
résultat ne sera probablement pas la construction de liens, mais une
fragmentation sociale et un contrôle accru par le haut.
Cela n’améliorera pas le contrôle
tout individu doit avoir sur sa propre vie, bien au contraire. De ce
point de vue, le revenu de base est la continuation, certains diront
le stade suprême, du processus qui, depuis la révolution
industrielle, a transformé les artisans en travailleurs non
qualifiés et en caissières de supermarché. Si l'artisan pouvait
être pauvre, il était toujours le maître de son art et de sa
propre vie, et ne dépendait de personne d'autre que lui-même.
L'ouvrier d'usine dépossédé qui l'a remplacé, accomplit des
tâches répétitives et vides de sens, et n’est plus qu’un
rouage, totalement déconnecté du produit de son travail. Les
ouvriers d'une usine spécifique, pris dans le groupe, pouvaient
toutefois prendre une fierté collective dans le fruit de leurs
travaux. Le bénéficiaire moyenne du revenu de base une personne
passive, sans aucune identité professionnelle ou sociale, et si une
minorité pourrait se réaliser dans des activités bénévoles, la
majorité deviendraient comme les personnages de The Machine Stops
ou de Piano Player, oisif et aliéné, privé de la
possibilité de contrôler leur propre vie et, plus important, d’en
faire quelque chose.
Dans Piano Player, le
personnage principal, un membre de l'élite, pense à se retirer dans
une ferme sans eau ni électricité puis prend part à une révolte
contre l'ordre technocratique visant à redonner aux hommes la
liberté de faire quelque chose de leur vie et de trouver de la
fierté dans ce qu’ils font.
Je pense que je l'aurais suivi, si je
ne savais pas que cette idée absurde de revenu de base absurde était
destiné à mourir avec la civilisation industrielle.