samedi 25 février 2012

Il viendra des pluies douces.


Sara Teasdale n’est pas très connue en France, et c’est en vain qu’on cherchera une traduction de ses poèmes. Ce n’est guère étonnant dans un pays aussi auto-centré que la France. Une de ses œuvre a cependant traversé l’Atlantique, passager pas si clandestin des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury : Il Viendra des Pluies Douces. Cette pièce vaut par son indéniable valeur littéraire, bien sûr, mais aussi parce qu’elle met en lumière la plus importante faille de la pensée écologique moderne.


Il viendra des pluies douces et l'odeur de la terre,
Et des cercles d'hirondelles stridulant dans le ciel ,
Des grenouilles aux mares qui chanteront la nuit
Et des pruniers sauvages palpitant de blancheur;
Les rouges-gorges enflant leur plumage de feu
Siffleront à loisir perchés sur les clôtures.


Et nul ne saura rien de la guerre qui fait rage
Nul ne s’inquiétera quand en viendra la fin.


Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes


Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."

La pensée écologique qui s’est développée après-guerre, notamment avec la publication de Silent Spring par Rachel Carson en 1962, s’est focalisé sur l’impact de l’homme sur la nature. Ce n’était pas totalement absurde. L’activité humaine induit des changement environnementaux et ceux-ci, comme tous les changements, sont néfastes pour une bonne partie de la faune et de la flore, et si les Maoris n’ont pas attendu la machine à vapeur pour exterminer les moas, il est évident que l’avènement de l’ère industriel a coïncidé avec une augmentation considérable du rythme des extinctions. Certains ont même pu parler d’une sixième extinction de masse, menant à ce qu’ils appellent la planète des mauvaises herbes : un monde sans biodiversité, peuplé d’une poignée d’espèces particulièrement résistantes.

Dire que nous sommes au bord de la sixième extinction, cependant, c’est aussi dire qu’il y en a eu déjà cinq.

Il y a 250 millions d’années, à la fin du Permien, une série d’éruptions volcaniques massives dans ce qui est aujourd’hui la Sibérie a plongé la planète dans une spirale mortifère de changements climatiques incontrôlés. Lorsque tout fut accompli, 96% des espèces vivantes avaient disparu. Les océans étaient devenus des déserts liquides, dépourvus du moindre atome d’oxygène et exhalant des vapeurs d’hydrogène sulfuré.

Sur les terres desséchées, une poignée d’animaux respiraient à grand peine un air surchauffé et empoisonné. Le paysage, sans végétation d’aucune sorte, ressemblait plus à celui de Mars qu’à la Terre que nous connaissons.

Pourtant, quand les conditions sont redevenues vivables, les écosystèmes se sont lentement reconstitué et une nouvelle biodiversité s’est déployée sur la Terre.

Il est douteux que nous puissions, même si nous le voulions, faire autant de dégâts que les éruptions sibériennes, sans parler, bien sûr des épisodes de glaciations ou d’évaporation totales qui ont précédé l’apparition de la vie multicellulaire.

En fait, la Terre traverse depuis 34 millions d’année une période plutôt froide et sèche, marquée par la présence de calottes glaciaires aux pôles. Ce climat froid s’est encore dégradé il y a 2 millions d’années avec l’apparition de la banquise arctique, ce qui a aboutit à une succession rapide d’épisode extrêmement froids – les âges glaciaires – et d’épisodes un peu moins froids comme celui que nous vivons actuellement. Même si, comme certains libéraux ou certains complotistes le suggèrent, nous abandonnons tout principe de précaution et déversons dans notre atmosphère des tombereaux de gaz à effets de serre, nous ne ferions que retourner aux conditions qui régnaient au crétacé, à la fin de l’âge des dinosaures : un univers tropical et marin, fait de gigantesques marécages bordées de mers peu profondes et de forêts pluviales. La vie y foisonnerait et la bio-diversité y serait bien plus élevée que dans notre monde de steppes et de déserts.

Cela ne veut pas dire naturellement que nous devons déverser dans notre atmosphère tout le dioxyde de carbone et le méthane que nous pouvons. Avec la possible exception des riposteurs laïques et des électeurs du FN, nous n’avons qu’un rapport extrêmement lointain avec les dinosaures, et notre civilisation ne s’est développée que parce que nous avons connu, depuis environ 10.000 ans, des conditions climatiques exceptionnellement stable. Une augmentation de cinq degrés réduirait notre civilisation à l’état de ruines dans la jungle.

Ce que cela veut dire, c’est que la planète n’a pas besoin d’être sauvée. Même si nous nous comportons comme les pires des irresponsables – et c’est effectivement une possibilité – nous ne pouvons pas faire pire que ce à quoi elle a déjà survécu.

L’insistance des écologistes, qu’ils soient des techno-greens adeptes de la voiture électrique ou des écologistes profonds instruisant le procès de l’espèce humaine, à mettre en avant le sauvetage de la planète est néanmoins révélatrice. Le rapport Meadows au Club de Rome, en effet, ne parlait absolument pas de la menace que faisait peser l’humanité sur la nature. Il parlait de la menace que faisaient peser les contraintes naturelles sur la civilisation humaine.

Son message était clair : la nature impose des limites indépassables à notre développement. Si nous les ignorons nous nous fracasserons contre elles et nous nous effondrerons. Nous ne l’avons pas entendu et subissons aujourd’hui, à l’heure prévue, les premiers symptôme de cet effondrement.

Pourtant nous préférons nous focaliser sur le seul climat, parfois jusqu’au ridicule. C’est ainsi qu’un responsable Vert s’est étonné lors d’un vote sur le financement d’un aéroport, qu’on ne parlât pas du climat, alors que le CO² étant peu sensible aux frontières, le fait qu’un avion décolle d’ici plutôt que de là, n’a aucune influence sur notre avenir climatique. Il ne s’est, en revanche pas demandé avec quoi les avions en question allaient bien pouvoir voler... peut-être parce que poser cette question équivalait à ouvrir une boite de Pandore que personne ne souhaite voir ouvrir.
John-Michael Greer a suggéré que c’était parce que le changement climatique et l’épuisement des ressources racontent deux histoires distinctes :

L'histoire du changement climatique, si vous la réduisez à ses fondamentaux, est le genre de l'histoire que notre culture aime raconter - un récit sur la puissance humaine. Regardez-nous, dit-il, nous sommes tellement puissants que nous pouvons détruire le monde! L'histoire du pic pétrolier, en revanche, est le genre d'histoire que nous n'aimons pas - une histoire sur les limites naturelles qui s'appliquent, oui, même à nous. Du point de vue du pic pétrolier, notre statut auto-proclamé d’enfant chéri de l’évolution commence à ressembler à l'illusion qu'il est sans doute en réalité, et il devient difficile de ne pas se mettre à penser que nous pouvons avoir à nous contenter du rôle un peu moins flatteur d’une espèce qui, après avoir dépassé les capacités d’accueil de son environnement, en subit les conséquences.

En nous posant comme sauveur, voire même pour les "défenseurs de la cause animale" , en législateur de la nature, nous essayons d’évacuer de notre champ mental le fait que nous sommes tout aussi soumis à ses lois que le plus petit des protozoaires et que notre puissance est si illusoire que, pour paraphraser Jules Verne, un infime frisson peut la balayer de la surface de la Terre.

Cette perspective est si étrangère à notre culture que nous préférons la pire des anti-utopies urbaines – on pense à Soleil Vert, par exemple – à la vision d’un monde retourné aux forêts, pourtant bien plus réaliste au vu de notre histoire.

De ce point de vue, une grande partie du débat sur l’avenir de la planète n’est qu’une diversion. La vraie question n’est pas de savoir si la nature peut survivre à une civilisation technologique mais si notre civilisation peut survivre à sa rencontre avec les limites que lui impose la nature. A cette question, le Club de Rome répondait il y a quarante ans : peut-être, si nous agissons maintenant. Le temps à passé et ce peut-être est devenu est devenu un non, clair et vibrant. L’effondrement se profile à l’horizon et derrière lui de nouveaux siècles obscurs.

Ce n’est pas la fin du monde, mais se poser la question de la sixième extinction plutôt que celle du quatrième effondrement ne nous aidera pas à passer ce qui promet d’être un fort difficile cap.

Quant à la nature, rassurez-vous...


Nul ne se souciera qu'il soit arbre ou oiseau
De voir exterminé jusqu'au dernier des hommes


Et le printemps lui-même en s'éveillant à l'aube
Ne soupçonnera pas notre éternelle absence."

lundi 20 février 2012

L'impasse anticapitaliste

Le mot capitaliste est, comme le mot fasciste d'ailleurs, largement devenus une invective, un mot valise par lequel telle ou telle frange politique désigne tout ce qui, dans le monde contemporain, lui déplaît, à ce point que certain ont pu, sans rire ni appartenir au Parti Communiste Chinois, se dire à la fois anticapitalistes et favorable à l'économie de marché.

A l'époque, pas si lointaine, où le marxisme, orthodoxe ou non, régnait sur prés de la moitié du monde, ce genre d'affirmation aurait pu valoir à son auteur un procès en hérésie, aussi vicieux, et dans certains cas aussi mortel que ceux instruits par la Très Sainte Inquisition.

L'analogie n'est pas fortuite. Le marxisme, et les idéologies qu'il a marginalisé au cours du XIXème siècle, appartient au royaume des religions apocalyptiques. Cette catégorie, particulièrement prolifique trouve sa source dans les steppes iraniennes aux alentours du Xème siècle avant Jésus-Christ. Elles varient considérablement dans leurs détails, mais le principe de base reste toujours le même : à un moment donné dans le futur se produira un événement qui mettra fin à l'histoire telle que nous la connaissons, précipitera les méchants en enfer et créera un monde parfait d'où tout mal sera banni.

L'Eglise Catholique avait eu la sagesse de renvoyer ce monde parfait à un futur aussi indéterminé que lointain. Elle serait d'ailleurs extrêmement ennuyée s'il prenait à son fondateur la fantaisie de revenir comme il l'a promis il y a deux mille ans. Cela n'a évidement pas empêché toute une collection de messies auto-proclamés d'annoncer le royaume pour la semaine d’après. Certains, comme Jean de Leyde, ont même pu mettre certaines de leurs idées en pratique – le résultat était en général assez peu convainquant.

Le marxisme, lui, suivant l'idéologie scientiste et rationaliste qui dominait au XIXème siècle, voulait établir le monde idéal sur terre, dans un avenir raisonnablement proche, tout en expliquant pourquoi la dernière tentative dans ce sens – la Révolution Française – avait abouti à un bain de sang et à une dictature militaire. Le résultat a été la mythologie assez inventive que nous avons tous, de Phnom-Penh à Moscou, appris à apprécier.

Si la révolution industrielle et le renversement de l'ancien régime, n'a pas amené la félicité universelle, c'est parce que notre système économique basé sur la propriété privée des moyens de production – le capitalisme – institutionnalise l'exploitation de la majorité par la minorité.

Non seulement les possédants – la bourgeoisie - accapare la plus grande part de ce que produisent les autres - les prolétaires – mais ce système d'exploitation tend à s'étendre à l'ensemble de la société et à toutes les société, si bien qu'au bout d'un certain temps il ne reste plus que des bourgeois et des prolétaires. Par ailleurs, le sort de ces derniers tend à s'aggraver avec le temps, et avec elles les contradictions du système. Les prolétaires, plongés dans la misère, s'organisent sous la direction d'une avant-garde éclairée, renversent la bourgeoisie et établissent une « dictature du prolétariat » qui progressivement laissera la place à une utopie collectiviste.


Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela n'a pas été une franche réussite. Partout où les partis marxistes ont pris le pouvoir, la dictature du prolétariat s'est rapidement transformé en dictature sur le prolétariat. L'avant-garde éclairée s'est partout transformée en une caste fermée imposant à une population de plus en plus rétive des politiques de plus en plus dysfonctionnelles. Lorsque l'enthousiasme révolutionnaire des premiers temps, avec son cortège de carnages, a progressivement laissé la place à la grisaille bréjnevienne, faite de pénuries, d’oppression et de slogans creux.

Confrontés à l'effondrement de l'Union Soviétique et la trahison d'une Chine qui n'a gardé du « socialisme » que la dictature du parti et la police sécrète, les différentes églises marxistes ont réagi de manière fort diverse. Les orthodoxes historiques se sont discrètement débarrassé du dogme et se sont attaché à préserver l'appareil du parti, non sans un certain succès. Les hétérodoxes, trotskistes pour nombre d'entre eux répètent à l'envie qu'ils avaient prévu cette débâcle et qu'elle est due non à un problème avec le projet communiste lui-même, mais à une série de trahisons et de déviations ; Naturellement, ils assurent que quand eux prendront le pouvoir, ce sera différent … de toutes les fois où ça devait être différent.

Quant aux traditionalistes – le PRCF, par exemple – ils nous expliquent avec une conviction touchante que l'Union Soviétique était une grande réussite et que si elle s'est effondré c'est parce qu'elle s'est écartée du chemin tracé par Staline, et bien sûr parce qu'elle a été trahie. Qu'on se rassure, cependant, quand eux prendront le pouvoir ce sera différent, mais pas de la même manière que les trotskistes qui sont, comme chacun sait, des traîtres vendus au Capital.

La majorité, cependant, ont fait ce qu'on fait les Millerites en Amérique lorsque Jésus n'est pas descendu sur terre en octobre 1844 : ils se sont tournés vers d'autres groupes ou idéologies, plus à même de répondre à leurs aspirations. Le problème c'est que s'ils ont jeté le dogme marxiste par la fenêtre, ils ont gardé ses fantaisies apocalyptiques. L'objectif  de l'anticapitalisme n'est pas de rendre la société la plus juste possible compte tenu des contraintes qui sont aujourd'hui les nôtres, ce qui, soit dit en passant ne serait déjà pas mal. Il est de substituer à notre société, certes éminemment perfectible, une version ou une autre du paradis sur terre.

La vulgate marxiste étant totalement discréditée, il y a de considérable divergences d'opinion sur ce que doit être ce paradis sur terre. Les mélenchonistes proposent de créer un gosplan à la française chargé d'assurer la transition vers une économie durable, la hausse du pouvoir d'achat et le plein emploi – trois objectifs contradictoires soit dit en passant. Les décroissants veulent sortir de la civilisation industrielle tout en maintenant l'état-providence et en donnant à chacun un « revenu minimum d'existence » - oui, c'est également contradictoire.

Pendant ce temps-là Hervé Kempf nous explique que si la planète va mal c'est de la faute des riches, catégorie à laquelle, naturellement, il n’appartient pas plus que ses lecteurs.

Les autres, eux, cherchent une "troisième voie entre le communisme et le capitalisme", ce qui concrètement signifie s'accrocher à toutes les "luttes" sans trop se poser de question sur leur légitimité ou leur viabilité, voguer d'une utopie à une autre, et bien sûr encenser tel ou tel caudillo sud-américain, en attendant sans doute de faire de même avec son équivalent domestique.

Le plus déplorable c'est que toutes ces idées ne sont pas en soi absurdes. C'est leur combinaison avec la volonté "d'en finir" avec un capitalisme croquemitaine et de créer "un monde sans mal"

Notre société a fait le choix il y a trois cent ans d'utiliser massivement les combustibles fossiles. Ce n'était pas un choix conscient. Il est né de la combinaison d'une société relativement ouverte, d'une position stratégique favorable et de vastes raisons charbonnières héritées du carbonifère. La Chine des Song aurait pu le faire si son incompétence militaire ne l'avait pas privé de ses territoires du nord et nous serions aujourd'hui en train de nous interroger sur les causes de la chute d'une civilisation industrielle globale centrée sur le Yangtze.

Une fois cette stratégie adoptée, il était inévitable qu'elle s'étende à l'ensemble de la planète. L'avantage que conférait les combustibles fossiles étaient trop important, les bénéfices de l'impérialisme trop évidents. Un état "socialiste" bénéficiant des mêmes avantages et soumis aux mêmes tentations aurait, sans aucun doute, trouvé d’excellentes raisons de soumettre le reste du monde à sa "mission civilisatrice".

Que nous adoptions une stratégie de croissance à tout crin était également inévitable, tout comme le sont les conséquences. Nous avons bâti une civilisation qui a besoin pour continuer à exister d'un approvisionnement constant en ressources non renouvelables. Celles-ci sont en train de s'épuiser et il devient de plus en plus difficile de maintenir nos infrastructures. Ce n'est qu'une question de temps avant que nous atteignions le point de rupture.

Dans ces conditions, taxer très lourdement les riches n'est pas absurde. Après tout la croissance n'étant plus une option, nous n'avons pas besoin de ménager les supposées forces vives, sans compter que si nous sommes tous coupables d'aveuglement, certains le sont plus que d'autres.

La planification et le rationnement des ressources vitales font tout à fait sens pendant des périodes de difficultés, et ont été mises en œuvre par des états aussi peu socialistes que les États-Unis et la Grande-Bretagne pendant la dernière guerre.

Quant à l'abandon de la société industrielle et le retour à une économie agraire, l'un et l'autre sont inévitables. Les ressources qui nous permettent encore de faire fonctionner notre économie, urbaine et industrielle, seront de moins en moins disponibles.

Rien de tout cela, cependant, ne nous mènera au paradis ni ne nous libérera de l'exploitation et de la compétition. Bien au contraire, l'épuisement de nos ressources signifie que nous serons confrontés à toujours plus de pauvreté et de compétition, quant à la vie de l'agriculteur décroissant, il y a de fortes chances que, sans la protection de la société industrielle, elle soit pénible, laborieuse et courte.

Mais si l’adaptation à un inéluctable déclin ne nous mènera pas au paradis, la recherche du paradis nous mènera, elle, directement en enfer. Dans sa logique, en effet, si le paradis rêvé ne se matérialise pas, et il ne se matérialisera pas, ce ne sera pas parce que la doctrine est fausse, mais parce que les hommes auront trahis ou failli, et nous savons à quoi cela aboutit.

Dans un texte récent, Richard Heinberg, a identifié quatre scénarios pour notre proche avenir :

A. Le statu quo.[....] les décideurs tentent désespérément de relancer la croissance économique avec des plans de relance et de sauvetage; tous les efforts sont dirigés vers la croissance, ou au moins le maintien d’une société complexe et centralisé. Les déficits sont ignorés.
 
La poursuite du statu quo semble nous ramener aux crises observées en 2008, mais la prochaine fois la situation sera pire [...]
 
B. La simplification par l'austérité. Dans ce scénario, les nations s’échappent du  du surendettement […] en coupant les dépenses sociales [...]
 
Dans les circonstances actuelles, la preuve est accablante que l'austérité mène au déclin économique et à des troubles sociaux. Dans les pays où la prescription d'austérité a été le plus vigoureusement appliquées (Irlande, Grèce, Espagne, Italie et Portugal), la contraction s'accélère et la protestation populaire est à la hausse.
 
[...] La seule façon apparente sortir de cette spirale de mort est une reprise de la croissance économique rapide. Mais [...], c'est une chimère simple. [...]
 
 
C. La centralisation des produits de base. Dans ce scénario, les pays fournissent directement des emplois et des nécessités de base pour le grand public tout en simplifiant volontairement la société via la réduction des effectifs ou l'élimination de secteurs tels que la finance ou et de l'armée, et par la taxation des particuliers fortunés, des banques et des entreprises.
 
Dans de nombreux cas, la fourniture centralisée des nécessités de base est relativement bon marché et efficace. […] Pensez à la mise à disposition de services par l’Etat non comme un socialisme utopique [...], mais comme une réorganisation stratégique de la société en vue d'une plus grande efficacité en temps de disette.[...] Finalement, la capacité des autorités centrales à fonctionner et à réparer l'infrastructure nécessaire pour continuer à soutenir l'ensemble des citoyens pourrait éroder au point que le centre ne tient plus. A ce stade, la stratégie C disparaîtrait au profit de la  Stratégie D.
 
D. La production locale. Dans ce dernier scénario, la fourniture de produits de première nécessité est organisée par les gouvernements locaux, des mouvements sociaux ad hoc, et des organisations non gouvernementales. Il pourrait s'agir de petites entreprises, d’églises et de groupes religieux des gangs de rue élargis, et toutes sortes de réseaux de coopération formels ou informels..
 
En l'absence de réseaux de transport mondiaux, les réseaux électriques et des autres éléments d'infrastructure qui  relient les nations modernes, la production locale, ne peut fournir que l’ombre du niveau de vie dont jouissent actuellement les classes moyennes  américaines ou européennes.

Tous ces scénarios aboutissent à la fin du capitalisme. Aucun n’aboutit à la société sans classe, et le résultat final risque fort de ressembler à ce qu’ont connu nos ancêtres, avec, on peut l’espérer même si rien ne le garantit, un peu plus de démocratie et un peu moins de violence.

Heinberg donne également ce conseil aux (futurs) gouvernants :

Ne soyez pas malfaisants, ne succombez pas à la tentation de déployer l’armée contre votre propre peuple quand vous sentirez le pouvoir vous échapper, le processus de décentralisation est inexorable, facilitez-le.

Il est permis de douter que les anticapitalistes, avec leur logique manichéenne et leur goût de l’absolu, suivent ce conseil.

lundi 13 février 2012

L’impuissance de la politique




Les derniers mots de Marc-Aurèle
Contrairement à ce que croient les théoriciens du complot, les sociétés modernes sont constituées d'un grand nombre de centres de pouvoir interconnectés, à la fois rivaux et alliés, chacun avec ses intérêts et ses objectifs. Ces centres de pouvoir ne se réduisent pas au MEDEF ou aux partis dominants. Les syndicats, les religions, les associations grandes ou petites, y figurent en bonne place, et chacun d'entre nous appartient à plusieurs d'entre eux, consciemment ou non.

Chacun de ces centres de pouvoir lutte pour faire avancer ses intérêts ou ses projets, et comme ils sont, au moins en partie, incompatible entre eux, et que, comme le fait remarquer Jean-Claude Michea, dans une société libérale il n'y a pas de morale commune et les décision politique sont le résultat d'un rapport de force.

La plupart du temps ce résultat est le statu quo, même si, comme le faisait remarquer John Michael Greer :

il y a deux facteurs qui permettent de surmonter cela. Il se peut d'abord qu'un leader charismatique (Franklin Delano Roosevelt, par exemple, ou Ronald Reagan) ou un groupe persuasif avec un plan (les libéraux dans les années 1960, ou les néo-conservateurs dans les années 1990) obtiennent un soutien suffisant de la part de différents centres de pouvoir pour forcer le changement. Il se peut également qu'un leader qui n'est pas suffisamment charismatique (Huey Long, par exemple, ou Jimmy Carter) ou un groupe qui n'est pas assez persuasif (les conservateurs à l »époque de Goldwater, par exemple, ou des radicaux dans les années 1980 et 1990) mais qui menace le statu quo, pousse des centres de pouvoir à s'unir contre eux dans un effort pour préserver leur autonomie.

L'action politique consiste, la plupart du temps à jouer de ces centres de pouvoir pour aboutir, sinon à un consensus, du moins à une alliance suffisamment large pour rendre le changement possible. Si vous n'êtes pas au pouvoir, ou êtes minoritaire au sein d'une coalition, cela signifie monnayer votre influence pour que la faction dominante aille dans votre sens plutôt que dans celui de vos adversaire.

Le problème, c'est que plus le changement que vous souhaitez est radical, plus il heurte les intérêts établis, qu'ils soient financiers, sociaux ou idéologiques, plus il est difficile de réunir la coalition dont vous avez besoin pour imposer le dit changement.

Au delà d'un certain degré de radicalité, cela devient impossible, et il ne vous reste d'autres solution que d'imposer par la force votre vision des choses à la société.

Inutile de préciser que la plupart du temps, elle est bien mieux armée que vous. Ce n'est d'ailleurs pas nécessairement une mauvaise chose.

Ce que cela signifie, c'est que la complexité de notre société met une limite absolue à ce que la politique peut faire. En fait, cette limite est d'autant plus absolue que l'on est placé haut dans la hiérarchie. Un groupe d'idéaliste peut créer une commune décroissante dans un coin de campagne. Tout ce dont ils ont besoin, c'est de convaincre le reste de la société de les laisser tranquilles - pas vraiment une tache insurmontable. S'il venait au président de la République Française l'idée curieuse de généraliser cette expérience... disons qu'il pourrait s'attendre à être invité à discuter des termes de sa démission avec la Haute-Cour, ou même un quarteron de généraux... sous les applaudissement du pays tout entier.

Un dirigeant politique est un peu dans la position d'un joueur dans un jeu de grande stratégie, du style Europa Universalis ou Victoria. Il est possible de gagner, même en partant d'une position de faiblesse. Ce qu'il n'est pas possible de faire, c'est changer la règle du jeu. Bien sûr, dans le monde réel, celles-ci évoluent, sous l'influence de nombreux facteurs, dont certains sont politiques, mais ces facteurs sont largement hors de porté du gouvernement moyen.

Le changement, historiquement, vient d'abord d'intellectuels marginaux, puis se diffuse progressivement, ou pas, dans la société, avant de s'imposer au politique, lorsqu'il a acquis une force suffisante, ou de retomber dans l'obscurité, s'il a échoué à le faire. Les différents centres de pouvoir qui compose la société se l'approprie alors... et le jeu continue.

La tentation de renverser l'échiquier existera sans doute toujours, et elle se heurtera toujours à une très forte résistance de la part de l'ensemble de la société, et pas forcément à tort. Cela signifie, en effet, subordonné l'ensemble de la société au projet d'un seul groupe, ce qui aboutit généralement à la soumettre aux dirigeants de ce groupe.

C'est arrivé plusieurs fois à l'occasion d'un affaiblissement temporaire du corps social. Que cela ait donné le cauchemar cancéreux du nazisme, le délire meurtrier des Khmers Rouges, ou la grisaille perverse du socialisme réel, ces supposés paradis sur terre ont en général fait des enfers très convaincants.

Même eux, d'ailleurs, ont fini par se heurter au mur des réalités. Les vociférations d'Hitler ont pu coaguler le peuple allemand autour de lui, elles étaient impuissantes face à l'écrasante supériorité des alliés. Quant à la propagande soviétique, elle n'a pas empêché le système qu'elle défendait de s'effondrer sous le poids de sa propre inefficacité.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui l’inertie structurelle de nos sociétés se heurte aux limites de notre univers. En 1972, le Club de Rome avait avertis que si nous continuions sur notre lancée, nous aboutirions à une forme ou une autre d’effondrement. Il serait faux de dire que cet avertissement a été ignoré. Il a, au contraire, fait à l’époque d’un large débat, mais été progressivement renvoyé dans la marginalité par une coalition d’intérêts qui, pour une fois, regroupait les libéraux, les conservateurs et les marxistes. Pour être juste, on doit rajouter que l’opinion publique qui, dans nos pays, constitue la cour de dernière instance, les a suivis.

Le résultat, c’est que nous avons suivi ce que le rapport Meadows appelait le scénario standard et que nous arrivons au bout de sa logique. Nous aurions pu, matériellement, effectuer une transition vers une société durable, au prix d’un arrêt de la croissance économique et d’un gel, voire d’une légère régression de notre niveau de vie. Ce n’est plus possible. Cela impliquerait de reconstruire à partir de rien toute une infrastructure, avec des ressources de plus en plus rares et dans un contexte de crise économique profonde.

Nous n’en avons ni les moyens ni le temps.
Claude proclamé Empereur

Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas s’adapter à la situation, accompagner le déclin programmé de nos ressources afin d’amortir la chute finale. On pourrait, par exemple, élargir le réseau ferré en recréant les lignes secondaires qui existaient avant-guerre, encourager le retour à l’économie domestique et à une forme d’auto-consommation, rouvrir les canaux et décentraliser de manière à ce que le contrôle démocratique se fasse non par le biais une administration coûteuse, mais de manière organique, par chaque communauté locale sur son territoire.

Cela impliquerait, cependant, de mettre fin à un nombre considérable de rentes de situation, et d’accepter, dés maintenant, une baisse considérable de notre niveau de vie.

Les chances pour qu’un candidat porteur d’un tel programme soit élu sont infimes. Les chances pour que, une fois élu, il puisse le mettre en pratique le sont encore plus. Il se heurterait non seulement à la résistance des riches, mais surtout à part considérable des gens ordinaires qui considèrent leur mode de vie comme non-négociable.

Il va sans dire que l’usage de la force ne serait pas plus efficace, même si la tentation existe chez certains écologistes radicaux. Outre que son bilan humain serait désastreux, un tel régime serait incapable de contrôler sa société sans une bureaucratie complexe, par nature non-durable.

Cela nous laisse ce à quoi nous assistons actuellement : une alternance de symboles creux et de mesures à court terme dont l’objectif est de gagner quelques années avant l’inévitable, quitte à aggraver les conséquences de la chute lorsqu’elle se produira. Il y a là, bien sûr, une grande part d’aveuglement. Les politiques ont la même idéologie et la même culture que nous. Il est logique qu’ils aient les mêmes craintes et les mêmes refus. Même lorsque cela n’est pas le cas, notre société ne leur laisse le choix qu’entre une protestation impuissante à la marge, un travail souterrain pour sauver au niveau local ce qui peut encore l’être et un suivisme qui n’est, en définitif, que le reflet du nôtre.

Cette situation n’est pas sans précédent. Elle est même tragiquement banale. On la retrouve dans la spirale mortifère qui a englouti des rois mayas prisonniers de leur propres rôle ou du sage empereur romain à qui un hypothétique druide mis en scène par Ugo Bardi donne la solution à la crise de l’Empire.

Donc, notre druide avait vu le futur et l’avait décrit à l'empereur Marc Aurèle. Il avait vu la solution des problèmes de l'Empire: le Moyen Age. C'était la direction que l'Empire avait prise et qu’elle ne pouvait pas éviter de prendre. Ce que le druide proposait était de la prendre d'une manière contrôlée. Facilitez la transition, ne luttez pas contre elle! Si vous savez où vous allez, vous pouvez voyager plus confortablement. Si vous le faites pas, eh bien, vous serez malmené.

Nous pouvons imaginer une hypothétique «transition" au cours de laquelle le gouvernement de l'Empire romain à l'époque de Marc Aurèle aurait fait exactement fait cela: abandonner le limes, réduire le nombre des légions et les transformer en milices urbaines, réduire la bureaucratie et les dépenses impériales , délocaliser l'autorité, réduire la pression exercée sur l'agriculture: reboiser la terre. La transition n'aurait pas été traumatisante et aurait occasionné une moindre perte moindre de complexité: des livres, des compétences, des œuvres d'art et beaucoup plus auraient pu être sauvegardés et transmises aux générations futures.

Tout cela est, bien sûr, un pur fantasme. Même pour un empereur romain, démanteler les légions n’était facile. Après tout, le nom de «l'Empereur» vient du mot «imperator» qui signifie en latin «commandant». L'empereur romain était un commandant militaire et devenir empereur empereur signifiait plaire aux légions. Un empereur romain qui menaçait de licencier les légions n'aurait pas été très populaire et n’aurait, très probablement, pas vécu très longtemps. Ainsi, les empereurs n’auraient pas pu faire grand chose, même si ils avaient compris la dynamique du système. Dans la pratique, ils ont passé la plupart de leur temps à essayer de renforcer l'armée en ayant autant de légions que possible. Empereurs, et dans le monde romain tout entier, ont combattu aussi dur que possible pour maintenir le statu quo. Après la crise du 3ème siècle, l'empereur Dioclétien a ressuscité l'Empire en le transformant en quelque chose qui nous rappellerait l'Union soviétique de Brejnev. Une dictature oppressive avec une bureaucratie étouffante, de lourdes taxes pour les citoyens, et un appareil militaire lourd. Il était un tel fardeau pour l'Empire qu'il l’a détruit totalement en un peu plus d'un siècle.

Les politiques ont pour tâche d’arbitrer entre les besoins et les exigences des différents groupes de pression tout en faisant avancer les objectifs idéologiques de leur base. C’est de là que viennent les privilèges – non négligeables – dont ils bénéficient, mais cela contraint de manière absolue leur action, la limite à ce que nous souhaitons ou sommes prêt à accepter.

Ce monde d’exubérance consumèriste qui s’achemine autour de nous vers sa fin, c’est d’abord et avant tout le nôtre.

dimanche 5 février 2012

Théories du Complot


Les conspirations et les cabales, grandes, petites ou moyennes, sont une réalité. Certaines, comme l'assassinat de César ou le coup d'état d'octobre 1917 ont effectivement changer l'histoire. Leurs effets sont toujours locaux cependant, et leurs objectifs souvent mesquins. La CIA a bien mené des expériences sur l'homme dans les années cinquante et l'armée l'air américaine s'est bien lancé dans une opération de manipulation de grande envergure sur le thème des OVNI – utilisant des visites extraterrestres fantasmatiques pour camoufler des essais bien réels, comme par exemple celui du F117 Nighthawk.

Ce qui n'est jamais arrivé, cependant, c'est qu'une conspiration n'a jamais eu, à elle seule, d'impact décisif sur l'histoire du monde. Le nazisme prend bien ses sources dans la Thule-Gesellschaft qui a patronné le jeune Deutsche Arbeiterpartei, mais l'arrivée au pouvoir de Hitler doit plus à la crise de 1929, au traumatisme de la défaite de 1917 et à la capacité du futur führer à entrer en résonance avec les couches les plus profondes et les plus sombres de l'inconscient collectif allemand qu'aux manipulations d'une société secrète que le régime nazi interdira d'ailleurs dés 1935. Quant au putsch d'octobre, il est le résultat de la rencontre entre une société en crise, une grande puissance aux abois et le leader opportuniste et sans scrupule d'un groupuscule extrémiste.

Les illuminati, qui d'ailleurs n'existaient plus depuis plus d'un siècle n'y étaient pour rien.

Il est facile de voir pourquoi les théories du complot relèvent du fantasme et pourquoi les sociétés secrètes qu'elles imaginent ne peuvent pas exister dans le monde réels. Dans celui-ci, la Franc-Maçonnerie a éclaté en une myriade d'obédiences et ses rituels secrets se vendent en librairie. Des apostats ont dévoilé les cérémonies, secrètes elles-aussi, qui se tiennent au cœur des temples mormons, quant aux rencontres du Groupe de Bilderberg, les dates et les lieux de leurs réunions sont connues de tous. Ces dernières se passent d'ailleurs sous le regard des services secrets, qui ne doivent pas se contenter d'en assurer la sécurité.

Si les complots politiques sont probablement aussi vieux que la civilisation, les théories du complot, avec leurs vastes sociétés secrètes et leurs jeux de billard à bande sont beaucoup lus récente. Elles sont nées après la Révolution Française pour expliquer pourquoi l'ancien régime, qui était censé avoir la faveur divine, s'était effondré et pourquoi l'Église n'arrivait pas à endiguer la montée de la pensée moderne. Elles appartenaient alors plutôt au domaine de l’extrême-droite.

C'est d'ailleurs toujours à l'extrême-droite que les théories du complot trouvent naissance, même si elles sont aujourd'hui reprisent par une extrême-gauche qui cherche désespérément à comprendre pourquoi les paradis prolétariens qui contrôlaient la plus grande partie du monde durant la seconde moitié du vingtième siècle se sont écroulé.

Le discours conspirationniste sur le Groupe de Bilderberg, par exemple, vient d'un ouvrage de l’extrémiste de droite américaine Phyllis Schlafly - A Choice, Not an Echo – publié en 1964 et qui affirmait que le Parti Républicain était contrôlé par une cabale qui souhaitait créer un gouvernement mondial et instaurer le communisme universel, une thèse qu'on retrouve dans les écrits de la John Birch Society, think tank américain dont le gauchisme est très relatif.

L'hôtel de Bilderberg
On remarquera, par ailleurs, que les groupes d'où viennent ces théories sont souvent eux-même au centre de micro-conspirations. Il n'est pas étonnant que les larouchistes et les lambertistes, par exemple, voient des cabales partout, et comme ils ont en général une assez haute opinion d'eux-même, ils se créent des adversaires des adversaires à ce qu'ils imaginent être leur hauteur. Le discours d'un Pierre Hillard, mais on le retrouve aussi à Solidarité et Progrés, est particulièrement révélateur de ce point de vue. J'ai ainsi eu la surprise, en les lisant, d'apprendre que des organisations que je fréquente régulièrement et dont je connais bien la faiblesse et le manque de cohérence interne, étaient en fait de puissants lobbys avec des relais au plus haut niveau du monde des affaires.

Ce qui pose question, cependant, c'est la popularité de ce genre de théorie en dehors des groupuscules dont elles étaient autrefois le domaine réservée. On entend ainsi fréquement que si on ne voit pas de voiture électriques ou à air comprimé dans nos rues, c'est parce que les grandes compagnies pétrolières s'assoient sur les brevets et sabotent la recherche.

Dans le monde réel les voitures électriques dominaient le marché au début du vingtième siècle, le premier moteur à hydrogène a été construit en 1807 et des trams parisiens fonctionnaient à l'air comprimé sous la troisième république. Curieusement, ni l'Allemagne Nazie, ni les militaristes japonais ni l'Afrique du Sud de l'Apartheid ni la Corée du Nord, pays qui combinaient un manque aigu de pétrole avec un mépris profond pour le droit international, ne se sont tournés vers ces technologies lorsque leurs économies sont tombé en panne d'essence.

Que ces arguments soient balayés d'un revers de main par les conspirationnistes montre que leur mode de pensée n'est pas rationnel, et répond en fait à des besoins psychologiques.

Cela peut sembler curieux, car après tout, qui voudrait vivre dans un monde où une cabale malfaisante organise la récession et la pénurie, à des fins d'ailleurs pas toujours très clair, mais quand on y regarde de plus prés, ce monde est, en fait, très rassurant. Si une cabale de banquiers et de capitalistes peuvent contrôler le monde, c'est que le monde est contrôlable et que notre impuissance n'est que conjoncturelle. Nous pouvons être aujourd'hui sous la coupe d'immondes profiteurs, mais lorsque nous les aurons pendus avec les tripes de leurs laquais, nous pourrons créer le paradis sur terre.

Il faudra juste décider de quel paradis il s'agit, car sur ce point Solidarité et Progrés, Alain Soral et la John Birch Society ne sont pas exactement sur la même longueur d'onde.

Ce monde est infiniment plus rassurant que celui décrit par le rapport Meadows, où nos ressources sont limitées et en voie d'épuisement, où la science n'apporte aucune solution durable et ou à, ce stade, il est impossible d'obtenir un autre résultat qu'un effondrement.

Par ailleurs, en accusant telle ou telle obscure cabale, nous nous exonérons. Notre société a fait, inconsciemment, le choix il y a trois siècle d'un mode de développement basé sur des ressources non-renouvelables. Nous avons fait il quarante ans, le choix beaucoup plus conscient de ne pas opérer une transition vers une économie plus frugale et plus durable.

Nous, habitants des pays développés, jouissons d'un niveau de vie qui ferait pâlir d'envie un monarque du dix-huitième siècle. Certes, nos maisons sont plus petites et moins bien décorées, mais elles sont chauffées et éclairées. Nous disposons de l'eau courante et d'une alimentation abondante et variée, de moyens de transports rapide et d'une quantité extravagante de gadgets dont nos grands-parents ne pouvaient que rêver.

Si on exprime tous ces avantages en heures de travail humain, on s’aperçoit que chacun d'entre nous a à sa disposition plusieurs centaines d'esclaves invisibles.

De plus, nous consommons une part totalement disproportionnée des ressources qui nous permettent d'avoir ce niveau de vie. Si nous voulions d'un monde équitable, il nous faudrait le diviser au moins par deux. Je ne crois pas me tromper en prédisant que les volontaires ne se bousculeront pas au portillon.

Il est, là encore, beaucoup plus confortable, d'accuser quelque nébuleux groupe de conspirateurs, ou tel ou tel concept volontairement mal défini, comme le "capitalisme" ou "l'impérialisme", que d'accepter que notre mode de vie n'est pas durable, qu'il ne durera pas et que notre seule option est d'en changer.

Et puis il y a ce si agréable sentiment supériorité. L'impression de voir à travers le rideau de fumée et d'être au dessus du troupeau des dupes.

Quant au coupable... peut-être devrait-on reprendre le discours de V dans le film du même nom :

Comment est-ce arrivé ? Qui est à blâmer ? Bien sûr, il y a ceux qui sont plus responsables que les autres et qui devront en rendre compte mais... Encore dans un souci de vérité, si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans un miroir.